lundi 15 novembre 2010

Tourbillon chinois

On s'en souvient; Liu Xiaobo avait reçu le prix Nobel de la paix. Motif : il osait parler. Il affrontait la peur. Il défiait la "Chine légale". C'était un des rares types à pouvoir dire ses quatre vérités à un dirigeant chinois; d'autres, de grands hommes aussi, évidemment, préfèrent lécher la carpette. Car ils craignent que la "méga-puissance qui feint de s'ignorer" fronce les sourcils; des contrats en souffrance, des ronchonnements ici ou là, des entraves dans les enceintes internationales, quel pays sérieux pourrait s'aventurer ? C'est que la Chine est une bonne tapeuse...


On l'avait vu en France, le vénérable Hu Jintao. Avec le président Sarkozy. Ils exposèrent généreusement leurs râteliers. Nicolas Sarkozy n'avait pas caché son bonheur : "nous avons parlé de tout même des droits de l'Homme; j'te jure, wallâh !". La vice-ministre chinoise des affaires étrangères racla sa gorge, sur le coup : "Liu est un citoyen chinois condamné dans son pays, on ne voit pas en quoi cela concerne les relations franco-chinoises"...


On avait vu le ministre turc des affaires étrangères en Chine, aussi. Comme on le sait, les Turcs se désolidarisent des Ouïgours, contrat oblige. "Faux" avait éructé Davutoğlu. "J'en parle tout le temps, matin, midi, soir, nanik !". Et le ministère chinois des affaires étrangères avait confirmé Davutoğlu; un communiqué nous l'apprit : "nous remercions la Turquie pour son soutien permanent apporté contre les terroristes du Xinjiang"... Ah ouais ? Tiens donc, Rabia Kadir, une terroriste ! "Contrats, coco, contrats"...


Même l'empereur Obama doit faire les yeux doux à son créancier. C'est qu'ils ont de l'oseille, les Chinois. Et ils aiment prodiguer. On les avait croisés en Grèce, la dernière fois; quelques sous contre je ne sais quel produit financier du Trésor. Argent de poche à quelques potentats africains, aussi . "Ah ils sont malins !". Un sol de sympathie par-ci, un sol de gratitude par-là, qu'ils récoltent. Et ils sont toujours "pays émergent" soi-disant... Cerise sur le gâteau : Hu Jintao a été sacré "homme le plus influent du monde".


Il y a un véritable "foutage de gueule", en réalité. Une arrogance. Car quand on apprend que la Chine a critiqué les Etats-Unis au Conseil des droits de l'Homme, sur la liberté d'expression et l'accès à internet, on ne sait plus où mettre nos mains. Vraiment. Raclée au Japon, aussi. Comme on le sait, les deux pays se chamaillent sur la souveraineté de quelques îles. Mais c'est le Japon qui s'excuse en premier. Et le porte-parole du ministère des affaires étrangères arrive à déclarer le plus sérieusement du monde : "vous devez faire des efforts concrets pour créer une atmosphère favorable". "Vous devez faire"... Ou l'Inde, encore. Nos amis indiens voulaient absolument décrocher le rang de "partenaire stratégique" à Obama; "ok" dit ce dernier. Ils se serrèrent donc la main mais en regardant le Chinois qui les toisait du haut de son balcon; on l'entendait tousser...


"Elinde oynatmak" disent les Turcs. Le monde sous les doigts chinois. Nous nous sommes tous aplatis. Après tout, nos dirigeants sont des êtres humains. Et ils oeuvrent pour le bien de leurs peuples. Qui ne s'est-il pas rabiboché avec un type qu'il n'apprécie pas forcément lorsque son intérêt le commandait ? Hein ? Le petit employé avec son chef au bureau, un fils en mal d'argent avec son père, un homme en manque avec sa compagne, etc. etc. Et il s'avère que le monde entier a besoin du milliard chinois, de ses milliards. CQFD.


En réalité, deux Chinois se livrent bataille aujourd'hui. Liu Xiaobo et Hu Jintao. L'un nous a invités à Oslo, l'autre jure de nous "dresser" si on y dépose un doigt de pied. C'est comme ça. Le comité Nobel norvégien avait pu lancer un "oust !" à la Chine en sacrant Monsieur Liu. Et ce fut tout; les dirigeants des grands pays s'étaient presque excusés de devoir féliciter le lauréat... Le dalaï-lama, toujours "à portée de la main" pour faire la grosse voix, a encore rêvé : "les valeurs humaines ne doivent pas être sacrifiées au matérialisme". Trop spirituel, pour le coup. Autant dire une farce pour des communistes; ça ne fait rien, on s'en souviendra : en 2010, alors que tout le monde mettait son drapeau dans sa poche, une poignée d'audacieux ramassèrent le gant. On ne se bousculait pas et les capons se donnèrent tout de même le gant de passer pour vertueux. On rêva, on hallucina, on s'empourpra. Ainsi était le nouveau paradigme : caresser dans le sens du poil. Contrat oblige.