dimanche 7 novembre 2010

Gaguesque

Le pays est en crise, nous dit-on. Économiquement, financièrement, politiquement, socialement. Tout le monde rouspète comme il peut. On faisait grève encore hier. Des menaces terroristes planent sur notre pays. Les ministres ont déjà tout paqueté et attendent la marguerite en main. Bref, du gravissime à chaque coin de rue.

Le Sieur Copé, lui, s'amuse. On fait des blagues, maintenant, à l'assemblée nationale. Comme on le sait, c'est un cumulard. Futur président de la République, aussi. C'est comme ça. Il le veut. Il le sera. Entre-temps, il s'entraîne. Et quand Martin Hirsch a le cran de dénoncer des conflits d'intérêt, on le voit bondir. Député, maire, avocat, le père Copé. J'envie toujours les gens qui arrivent à éventrer le Temps. Et il maîtrise à merveille l'art de se montrer serein et taquin. Et il a des yeux bleus. Si si, je vote toujours pour un physique, je l'avoue. C'est grave, c'est pathologique mais c'est ainsi.


A l'assemblée donc, on s'éclate. Copé et sa troupe se sont amusés à asticoter Martin; le désormais président de l'Agence du service civique. Une coquette somme, ô chômeurs et RSAistes !, près de 9000 euros par mois. En son temps, Christine en avait bavé pour essayer de justifier cette même somme. Elle menait une mission, on s'en souvient. Quelques députés ont introduit un amendement pour diminuer le salaire de Hirsch. Mais ils l'avouent eux-mêmes, c'était juste pour tuer le temps. Même un homme sérieux comme Bernard Debré a disjoncté. Et le fils Giscard d'Estaing aussi s'est prêté à l'exercice, du haut de son château : "ah oui alors, il gagne plus qu'un député ! Scandaleux !"...


Voilà donc ce que nous confit le président Copé : "C'est un amendement d'appel destiné à attirer l'attention du gouvernement". Une nouvelle méthode donc. Non non, c'est bien un député qui dit cela. "Un amendement d'appel". On a envie d'être surréaliste à l'occasion, de chiper une darbouka et de se jeter dans l'hémicycle pour enclencher une danse du ventre et participer à la foire... Je n'ose ouvrir le Dalloz; les professeurs de droit et surtout les thésards en mal de thématiques à traiter (histoire de remplir le CV) palabreront et palabreront. "De la valeur juridique de l'amendement d'appel" ou "de l'influence des amendements d'appel sur l'inflation législative", etc. "Ça ne serait pas pour être voté hein, on joue, d'accord !", "ouais ok, vas-y balance l'amendement !"...

Évidemment, lorsqu'on parle d'argent et d'autorité administrative, mes yeux se tournent vers Mme Bougrab. Elle aurait voulu augmenter l'indemnité de misère qu'elle reçoit en tant que présidente de la Halde. 6000 euros. Elle avait des arguments, aussi : "Moi, parce que je suis une femme, parce que je suis jeune, cela paraît presque indécent que je sois payée". Présidente de la Halde qui dit cela. Oui celle-là même qui avait eu la malchance de vouloir établir une hiérarchie entre la laïcité et la liberté de religion. Tu sais l'affaire de la femme voilée qui travaillait dans une crèche (association type 1901). Son licenciement est une discrimination, avait tranché la Halde au temps de Schweitzer. Eh bien non ! avait crié la nouvelle présidente. Il faut la virer car elle est voilée... euh parce-que la crèche menait une mission de service public; elle devait donc être neutre comme une fonctionnaire. Et elle vient du Conseil d'Etat. Une comédie.


Évidemment quand l'exemple vient d'en-haut, la masse passe à l'acte : une enseignante en retraite avait tout bonnement déchiré le voile d'une touriste émiratie. Elle vient d'être condamnée à un mois de prison avec sursis et 200 euros d'amende. Et c'est tout. Une agression anti-musulmane assumée, résultat : sursis et des centimes. Elle n'avait pas eu honte, cette ex-enseignante : l'agression n'était pour elle qu'un "droit à la dispute". Dans un pays où montrer du doigt un juif est un scandale national (heureusement), infliger des baffes à une musulmane n'émeut personne...

Le président s'amuse, dans son coin. Il pousse Fillon, loue Baroin, caresse Borloo. Et nous, nous sommes là; on regarde, on essaie de suivre. D'ailleurs, on s'en fout, passez l'expression, car c'est son gouvernement. Puisqu'on a élu un Président et un programme, le reste ne devrait pas nous intéresser. C'est une affaire de calculs politiques, de chapelles qui nous dépassent, simples citoyens. Tiens, allez, réponds en cinq secondes, comment s'appelle le secrétaire d'Etat aux anciens combattants ? et le Premier ministre précédent ? et le pénultième ? qui est Benoist Apparu ? Nora Berra ? et Bockel où il était déjà ? et Marleix ? "ça va, ça va".

La vérité est que les noms, peu nous en chaut. Puisque le programme est le même. Le reste n'est que pure politique politicienne. Fillon aurait l'étoffe d'un homme d'Etat. Borloo serait trop décontracté, trop normal, trop ordinaire. A chaque fois que Monsieur le Premier ministre parle, j'ai l'impression d'écouter une machine. Pas d'accent, pas de "euh...", pas de mimiques. Il avait inauguré son mandat par ce retentissant "je suis à la tête d'un État en faillite". Aujourd'hui, c'est toujours le même refrain, "redressement", "politique réformiste". Aux Etats-Unis, c'est devenu une expression : "on fait campagne en poésie mais on gouverne en prose". Fillon et poésie, euh... A-t-il un verbe à transporter les foules ? "Étoffe d'un homme d'Etat", pourtant. Ou alors de Gaulle et Mitterrand n'étaient que des avortons...

Non, on rigole, c'est vrai. Qu'avait-il dit d'ailleurs Hirsch à ses détracteurs : "Ils essaient de frapper à l'argent parce qu'ils sont gouvernés par l'argent". Ah ça plombe, hein ? Tout le monde est gouverné par l'argent, cela dit. On respire, on dépense : la famille, les loisirs, le luxe. Des pépètes. D'ailleurs, nos élus viennent de mettre fin à leur régime de retraite d'exception pour montrer qu'ils ne pensaient pas qu'au blé. On les croit. Mais on les envie toujours, c'est bizarre, non ? Et on n'arrive pas à les croire, j'ai changé d'avis. Évidemment quand le député Copé, président du groupe UMP, avocat, maire, cousu d'or qu'il est, s'en prend à un autre renté qui a osé toucher à sa bourse, il ne faut pas s'étonner que le menu citoyen assume de son côté un certain poujadisme... "Le nerf de la guerre", quelle sublime expression...