On sent bien que cela ne colle pas. C'est que le Premier ministre est un des rares du gouvernement moderne et ultra-rapide du Président Sarkozy à passer pour un homme réfléchi; de ceux qui tournent la langue sept fois dans la bouche. De ceux qui ne gesticulent pas pour imiter Monsieur le Président. Et de ceux qui ne versent pas dans un langage populacier pour mimer l'illustre Raïs. Tout l'opposé d'un Frédéric Lefebvre, par exemple. Son haussement d'épaules et son dévissage du cou sont un calque du style présidentiel. Ou d'un Laurent Wauquiez, le "bogosse" du gouvernement, que dis-je, de la classe politique (quoique Philippe Dallier n'est pas non plus négligeable avec son air à la Rob Lowe) qui en fait trop dans la simplicité verbale. Toujours avec son "alors, c'est simple, j'vous explique...". Pourtant, major de l'ENA, major de l'agrégation d'histoire, diplômé de l'Ecole normale supérieure et titulaire d'un DEA en droit... On attend un cran au-dessus. Le carriérisme fait des miracles.
Bref, un Premier ministre terne, sans charisme, sans éloquence, sans pompe d'un côté et une sortie polémique d'un autre côté. Ça ne colle pas; sa "colère" ne rime pas avec son tempérament terre-à-terre. Il n'est pas le seul, évidemment. Il y a aussi François Baroin; celui qui parle avec une voix de robot. Et qui parle grammaticalement trop bien pour qu'on comprenne qu'il n'est pas, au fond, sarkozyste. Valérie Pécresse, également. Celle qui a toujours une mine déconfite, éternellement fatiguée, des yeux tombants et qui semble s'évanouir à chaque fois qu'elle tourne la tête...
C'est assez étrange mais les hommes politiques qui ont une femme d'origine étrangère aiment parader comme de véritables franchouillards. Le Pen marié à une Grecque, Sarkozy marié à une Italienne, Fillon marié à une Galloise. Comme quoi, quand il faut faire du populisme, on s'invente une sensibilité qui, au fond, n'existe pas. C'est comme Marine Le Pen à la tête d'un parti d'extrême droite donc conservateur; une présidente qui est divorcée et qui vit dans le "péché" avec un compagnon. Ou encore Jörg Haider qui dirigeait le parti d'extrême droite autrichien en partageant sa couche avec un homme...
"Cette dame n'a pas une culture très ancienne des traditions françaises, des valeurs françaises, de l'histoire française". "Cette dame". Et en plus, elle a un accent, euh ! C'est tellement joli à entendre dans la bouche d'un responsable politique. Qui a une femme galloise. Non vraiment, ça me trotte; ça ne colle pas, nom de Dieu ! Heureusement qu'il est le Premier ministre d'un Président qui prône la modernité et la rupture dans chacun de ses discours et gestes... Et heureusement que son propre ministre de l'éducation s'était targué d'avoir défendu le "français dialectal" du Président de la République ! Que disait-il déjà ? "En ces temps de complexité et de difficulté, le Président de la République parle clair et vrai, refusant un style amphigourique et les circonvolutions syntaxiques qui perdent l'auditeur et le citoyen".
Mince alors ! Substituer un défilé civil à un défilé militaire, une rupture pourtant ! Saperlipopette ! Faut-il avoir un avis sur cette question ? Peut-être mais je n'en ai pas un pour l'instant. La cavalcade militaire serait l'occasion d'exposer urbi et orbi la soumission des troupes au pouvoir politique. Un argument qui peut se prendre dans tous les sens, ironiquement. "Ouais, j'pense qu'il n'faut plus humilier les soldats devant le monde entier ! Les pauvres, ils enragent de devoir abaisser leur drapeau devant Sarkozy !"... Une manifestation à exporter en Turquie, quand j'y pense. La perspective de voir la face du chef d'état-major en train de se "rabaisser" devant le Président islamo-fascisto-terroriste et sa femme voilée suffit à défendre l'idée...
Eva Joly donc, une Française récente. Qui ignore les codes de céans. Qui se fait rappeler à l'ordre par les Français de souche, de l'histoire longue et des sépultures. C'est comme ça. Moi, personnellement, je fais partie d'une famille qui n'a pas de bol. En Ossétie, lorsque mes ancêtres se convertirent à l'islam au début du 19è siècle (on était orthodoxes il y a à peine deux siècles !), ils devinrent des "vendus". En Turquie, ils devinrent une minorité ethnique privilégiée donc nécessairement décriée par la masse (de la "semence russe", nous fûmes). En France, nous sommes une minorité ethnique et religieuse. La Constitution française promet fort heureusement de barrer la route à toute disposition législative qui nous cataloguerait en fonction de notre "origine", "race" ou "religion". Comme la Constitution russe de l'époque. Comme la Constitution turque d'aujourd'hui. Non je ne vais pas pleurer, mais si tout le monde nous renvoyait à notre origine dans ces trois foyers, d'où serions-nous ? "Démerde-toi coco !".
Et on l'est. Accaparé par ces questions d'identité, je veux dire. Fatiguant à force. Et quand on entend nos dirigeants faire des listes de Français, bah ma foi, on attend que ça passe. Car on est habitués. Je ne prends même plus de notes. Il y a encore quelques mois, l'assemblée nationale votait une loi qui "dégradait" (grammaire oblige, l'imparfait du verbe "déchoir" n'existe pas) les meurtriers d'agents dépositaires de l'autorité publique quand ils avaient le malheur d'être des Français tout frais ! Il y a encore quelques jours mon voisin m'interpellait "il doit faire beau ces temps-ci, chez vous ?", "bah non, on habite juste au-dessus de chez vous, ils n'ont pas rallumé le chauffage non plus !", "euh, en Turquie je voulais dire !", "ahhh ! Oui oui. Bien sûr, il fait chaud, oui. Chez moi, oui, c'est bien ça...".
Et ça remonte, cette obsession, dis donc. Potache, je rêvais d'être diplomate. Je m'amusais à envoyer des courriers au ministère dès qu'une question me semblait pertinente, à l'époque internet n'étant pas encore trop actif. La double nationalité est-elle un obstacle pour entrer au ministère des affaires étrangères ? Pour devenir ambassadeur en fin de carrière ? La réponse qui fut rédigée de manière fort diplomatique se résumait in fine à un "non". Mais dans la pratique, il fallait s'attendre à tout, m'avait rapporté un ami diplomate. On ne va tout de même pas me nommer ambassadeur en Turquie, ça serait facile... Quoique Salomé Zourabichvili était ambassadrice de France en Géorgie, la terre de ses ancêtres. Et tu sais quoi ? Quand la Révolution a éclaté, Saakachvili l'a nommée ministre des affaires étrangères de Géorgie. Comme quoi...
Oulala, je me suis égaré. Je ne voudrais pas donner l'air de soutenir Madame Joly. Car je me destine à servir l'Etat français, au final. Et comme le devoir de réserve a tendance à commencer au berceau, il ne faut jamais vendre la mèche. Je dirais simplement "ma chère dame", que votre "zut" n'a pas trouvé écho auprès d'un gouvernement qui est déjà trop zutiste. Zut par-ci, zut par-là. Rupturisme oblige. Mais le vôtre est allé trop loin. Avec une telle origine, en plus... Bref, aucune explication en termes conventionnels n'est possible. Oui je sais, bibi non plus, n'a rien compris mais c'est comme ça. J'ai un concours à passer et une carrière à faire, moi...