lundi 1 août 2011

Bouchées doubles

C'est ainsi. Plus le Ramadan approche, plus le bouillonnement intérieur s'amplifie. Non pas à l'idée de jeûner et de réfléchir profondément sur cet état mais parce-que c'est l'occasion, pour la plupart, de restaurer une ambiance familiale et de boustifailler. Évidemment, personne n'a jamais demandé aux jeûneurs de morver leur mauvaise humeur tout au long du mois sacré. Ou de se promener sur les rives de la mort par solidarité; non non, ce n'est pas une grève de la faim et de la soif. Assurément. Mais ce n'est pas non plus l'occasion de faire comme si c'était la vie ordinaire, celle que l'on mène tout de go, comblé de tout et sans approfondissement spirituel (ou existentiel pour les plus tièdes). Il faut un peu de "rangement", à mon humble avis.

On pitancera, donc. Et c'est, pour le coup, paradoxal; presque inélégant. Votre Dieu vous demande de faire un effort spécial pendant un mois; pas de sexe, pas de boisson et pas de victuailles durant la journée ou presque. Ce commandement visant non pas à vous enquiquiner mais à vous humaniser davantage. Histoire de soumettre le moins pauvre aux douleurs de ses frères dépouillés du plus élémentaire. "Pourquoi n'aide-t-Il pas directement les pauvres par un nivellement par le haut, ton Dieu ?". Une option, effectivement. Mais ça ne nous regarde pas...

L'inélégance, donc. C'est qu'alors qu'on devrait normalement perdre du poids, un ou deux kilos disons, beaucoup en prennent. Certes parce-que le corps se dérègle et qu'il perd son équilibre entre les protéines, glucides, lipides ou je ne sais quelle autre substance. Mais c'est surtout lié aux repas préparés. C'est du scientifique, on mange avec excès après (et avant, en l'espèce) une période d'inanition. C'est bien la raison pour laquelle les spécialistes en diététique et les médecins, qui vont palabrer ici ou là pendant un mois, commencent toujours par cette sentence : "ne faites jamais les courses quand vous êtes à jeun !". Mais comme la meilleure chose que sait faire un païen contre les oukases divins ou scientifiques c'est un pied de nez, d'autres programmes télé donneront des recettes à n'en plus finir pour préparer un "Ramazan sofrası", autrement dit un "repas de Ramadan". Le "repas" et le "Ramadan". Voilà donc à quoi l'on pense en premier dans un mois de jeûne...

Heureusement que Dieu est futé; c'est qu'Il a imposé (?) après l'iftar (le repas du soir) une prière assez longue, qui dure environ 30 minutes (voire une heure si on lit des sourates longues) et qui éreinte, à force de génuflexions et de prosternations, la prière dite du tarawih. Mais requinquante prière qui tombe bien à propos après la bombance du soir, elle fait office d'activité physique...

Quand on pioncera l'estomac lourd et les papilles déjà éveillées pour la mangerie du matin, d'autres mourront. Point besoin de larmes ordinairement, c'est "l'ordre naturel des choses". Mais cette fois-ci, c'est très particulier. Car le mois de Ramadan s'est couplé avec une dure réalité. Ceux qui jeûnent vont avoir à l'esprit, les êtres humains mourant, eux, de faim dans la Corne de l'Afrique. Des vrais. De chair et de sang, si tant est que l'expression ait un sens. Nous avons la désolation de constater que l'esprit même du Ramadan reste malheureusement actuel. Matière à méditer et surtout à agir; le Prophète n'avait-il pas dit : "celui qui dort repu alors que son voisin a faim, celui-là, n'est pas des nôtres !". Coup de semonce ! Quel lourd avertissement ! Et voilà le coup de massue : "Il est tellement de jeûneurs à qui il ne reste de leur jeûne rien d'autre que le sentiment de la faim"...

Ils geignent de colère, halètent de fatigue et meurent de faim. Et nous, nous serons affamés et assoiffés "pour de faux". Car nous mangerons encore plus que d'habitude, encore plus diversifié que d'habitude, à l'aube et au coucher du soleil. Des bouchées de roi. On s'évanouira quelques secondes, on luttera évidemment contre les céphalées. Et on finira le mois par une fête qui dure trois jours et trois nuits. Certes, il n'est pas demandé aux seuls musulmans d'intervenir pour ces corps faméliques et âmes errantes de l'Afrique, ceux qui sont tenaillés par la vraie fringale. C'est un drame qui ébranle toute conscience humaine. Mais si l'islâm a établi une prescription liturgique pour se rapprocher de Dieu en se rappelant ses créatures les plus faibles, c'est bien que l'insouciance est vigoureusement anti-islamique. Bon Ramadan à tous, donc; à passer avec la tristement célèbre photographie de Kevin Carter accrochée sur le frigo. C'est terrible et pénible donc impératif d'agir. En épargnant sa salive et en retroussant ses manches. Bourrative "guerre sainte" à tous !