dimanche 25 novembre 2007

Droit et fatigue: réflexion sur la langue des professeurs de droit

J'ai commencé à travailler sur mon mémoire; je suis déjà fatigué; piètre juriste ! piètre lecteur ? C'est vrai qu'après 5 années de plongée juridique, j'aurais dû être à l'aise avec le vocabulaire du droit, si prosaïque soit-il. Déjà des maux de tête au commencement d'un travail de longue haleine, sans doute une espièglerie de mon cerveau.
En réalité, ce qui m'éreinte, c'est moins le vocabulaire désenchantant du droit que le bêchage linguistique de ses professeurs. On peut être un grand intellectuel et avoir une écriture simple, presque miellée. On peut être un "grand professeur de droit" (presque un pléonasme pour beaucoup) et avoir un vocabulaire accueillant. J'aime le droit raconté, narré; le droit expliqué me suffoque. Beaucoup expliquent le droit, sans sève, avec emphase. J'adore lire les feux doyens Carbonnier et Vedel, le regretté professeur Rivero et le professeur Mazeaud (Denis de son prénom). J'aimais écouter Jean-Marie Denquin, Michel Pertué. Les meilleurs !
Les profs de droit nous "racontent" à longueur de temps qu'il faut être simple et clair. Quand la bouche dit oui, la plume dit peut-être. Leurs propres bouquins sont inaccessibles; une seule phrase épouse un paragraphe entier. Ils vilipendent notre style, notre rédaction, nos fautes d'orthographe; or, ils ne se lassent jamais d'introduire ces remontrances par de regrettables "par ailleurs", "par contre", etc. De véritables rodomonts !
Bref, l'important n'est pas de maîtriser les mots; c'est de les marier. Les auteurs que je lis actuellement, que je ne citerai évidemment pas, se forcent à employer des phrases qui sortent tout droit de leur délire intellectuel et qui, à défaut de pouvoir découvrir les conditions dans lesquelles elles ont fusé, nous causent d'incessantes migraines. Presque une pollution. Ils se défient avec le verbe; ils veulent entrer dans la littérature juridique, devenir une référence, produire les citations qui seront reprises dans les livres, les thèses, les conclusions des commissaires du gouvernement, etc. Rien qu'une course. La gloriole. Il y a aussi ceux, donc les Vedel et compagnie, dont la simplicité fait leur naturelle grandeur; ils n'ont rien demandé mais tout le monde les adule; ils deviennent doyens, académiciens, les "préférés" des étudiants. Ce sont eux, les vrais professeurs de droit; les autres restent seulement des "agrégés des facultés de droit". Droit littéraire versus littérature juridique.