Voici la photo qui secoue le pays depuis quelques jours.
On y voit de gauche à droite, le Président de la République turque, Abdullah Gül, le Roi d'Arabie Saoudite, Abdullah Bin Aziz et le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan. Rien d'anormal.
La petite histoire: le Roi Abdallah a fait une visite éclaire en Turquie le 10 novembre. Une suite "royale" lui a été réservée dans un grand hôtel d'Ankara.
La suite est scandaleuse pour les laïcards du pays: le Roi a littéralement convoqué le Président Gül dans sa chambre ! Et, pur hasard, le Premier ministre venait à la visite de sa presque Sainteté; ils se sont donc retrouvés dans la chambre du Roi, un 10 novembre (anniversaire de la mort d'Atatürk), sous le portrait du Roi affiché sur le mur et devant le drapeau saoudien (et accessoirement le drapeau turc au bord ) qui n'était pas en berne ! Eh oui, les 10 novembre, tous les drapeaux sont en deuil en Turquie en hommage au "Grand Atatürk". Scandale sur scandale ! Le protocole a été bafoué, l'honneur de la Turquie heurté, l'image de la république laïque abaissée. Les Saoudiens se sont empressés de rappeler qu'ils ne peuvent "berner" leur drapeau puisqu'il comprend la profession de foi musulmane: "Il n'y a de Dieu qu'Allah et Muhammed est son Prophète". Impossible techniquement. Ils ont également rappelé que le Roi ne pouvait visiter le mausolée de Mustafa Kemal Atatürk (exercice obligé de tous les gouvernants en visite officielle en Turquie; seuls les Iraniens et les Saoudites refusent de se plier à cette règle protocolaire) puisque le wahhabisme interdit ce genre de chose: visiter un mort, déjà ! et en plus pour le saluer ! c'est incompréhensible pour eux. Dans la Religion, on ne rend visite à une tombe que pour réfléchir sur la mort, pas pour courber l'échine devant un squelette.
Encore plus scandaleux: la République délivre, ce sacré 10 novembre, la plus haute distinction au Roi.
Les laïcistes, les nationalistes, les juristes, tous ceux qui ont pour métier de protester ont, mécaniquement, grondé. Là, ils ont plutôt raison; mais je me place sur un autre terrain: les règles protocolaires, le souci de se ménager la bienveillance du Roi, etc. c'est bien mais pourquoi honorer un tel homme de la plus prestigieuse distinction ? Quelle est son oeuvre ? Elle m'a l'air plutôt médiocre pour ne pas dire lèse-libertés. C'est comme la légion d'honneur à Poutine.
Les vieilles tentations de l'AKP ? Amadouer le Roi ? En tout cas, certains n'ont pas hésité à justifier cette excessive déférence à la nature même de la personne du Roi: il doit avoir le plus haut respect, c'est un ponte; il doit être choyé comme un pontife. Eh bien, je dis NON à cette raison d'Etat.