lundi 19 mai 2008

A bâtons rompus

Önder Sav est le "secrétaire général" du CHP, Parti républicain du peuple (gauche nationaliste). Je n'avais aucune raison particulière pour me pencher sur son cas: du CHP, vieux, effacé, dogmatique, etc. Un homme de l'ombre, nous dit-on; mais un avocat de formation et ex-bâtonnier de l'ordre national des avocats.
Un lieutenant de Deniz Baykal, le président. En Turquie, les partis de gauche ont des "présidents" à leur tête; en France, on préfère "secrétaire général" ou "porte-parole", ça sonne moins "institution", plus "organisation". Le primus inter pares. Un honneur dans le jargon de la gauche française. D'ailleurs, l'actualité nous le prouve, le défilé a commencé. Presque une sornette en Turquie, on préfère "Président", sans discussion. Le monde prône la modération dans la titulature: "secrétaire général de l'ONU", "serviteur des serviteurs de Dieu", "serviteur des Deux Saintes Mosquées", "porte-parole de la LCR", etc. D'autres préfèrent les qualités ronflantes: "Guide", "Commandeur", "Protecteur", etc. Les secrétaires généraux des partis politiques turcs sont des secrétaires; point.
Revenons à ce fidèle; on l'a entendu conseiller tout de go à un vieux militant qui, naïvement, lui a glissé qu'il s'apprêtait à se rendre au pèlerinage à La Mecque vu son âge avancé, de ne pas se laisser chiper par les Saoudiens et dire d'un air taquin "Vas-y, peut-être que Muhammad ne te laissera pas". Digne du valet du diable. Ou du diable en personne, celui qui bat sa femme et marie sa fille. Lors de leur dernière campagne électorale, provoquée par leur opiniâtreté désormais proverbiale, la direction n'avait pas hésité, une seconde, de distribuer des foulards et de brandir à l'endroit du Premier ministre : "La religion est à nous, pousses-toi !".
Mon père, gonflé d'une aversion dégoulinante contre la clique CHP, n'en demeurait pas moins béat devant l'exploit de Baykal d'avoir fait du CHP, un parti de "Tcherkesses"; en liquidant tout élément kurde et alévite. Lui, l'avocat Önder Sav, le médecin Haluk Koç (aujourd'hui dissident), le diplomate Onur Öymen, l'ambassadeur Inal Batu (aujourd'hui transfuge), le syndicaliste Mehmet Cevdet Selvi, etc. La crème tcherkesse.
Heureusement, l'esprit de clocher ne suffit pas à soutenir un parti politique. Cette sortie du secrétaire Sav est imbuvable pour les uns, inoffensive pour les autres, inutile pour tout le monde. Je ne sais pas trop quoi en penser: effusion du coeur ? profonde réflexion ? blague "moderne" ? Entre l'AKP, taxé d'islamiste et le CHP, comptabilisé dans la liste des partis religieusement tièdes, on ne sait plus où se tourner. Côté CHP, c'est l'encéphalogramme plat, bizarre, ils ont réponse à tout en général.
Ne serait-ce pas une grave gaffe, cette fois-ci ? Abracadabrantesque. On ne badine pas avec la religion en Turquie; c'est une sorte de respect naturel comme il est coutume de respecter le Président de la République. Allez je reprends la phrase de mon père: "vivre en Turquie, c'est une chose qu'ils n'ont jamais comprise". Jadis, ils passaient leur temps dans les bals; aujourd'hui, ils ne sortent pas des salons. Un parti de gauche rempli d'ambassadeurs, ça vient peut-être de là, allez savoir...