dimanche 15 juin 2008

La réserve judiciaire et l'honneur

"Ca suffit, arrêtez de gloser", pourrait-on se dire. "On ne tire pas sur l' ambulance".



Le pauvre, on l'accable depuis des semaines. Je parle d'Osman Paksüt, le Vice-Président de la Cour constitutionnelle turque, celui qui se disait écouté par les services gouvernementaux.

On a apprit qu'il avait rencontré le chef de l'armée de terre, futur chef des armées en août 2008. En bon haut fonctionnaire, il a d'abord nié l'information mais heureusement que le journal Taraf, de la trempe du Canard Enchaîné, a fini par le dégoter. Il a menti. D'ailleurs, il l'a reconnu mais au lieu de se morfondre dans une humeur noire, il a préféré trotter comme un lapin devant les médias pour fanfaronner: "je vous l'avez dit, on me suit, on m'épie, j'étouffe".



La teneur de la rencontre ne serait qu'anodine: des félicitations. Osman Paksüt est certes juge constitutionnel mais il est également l'ancien ambassadeur de Turquie en Iraq; à ce titre, il a voulu rendre hommage au courage de l'armée turque lors de la guerre-éclair en Iraq et prodiguer quelques conseils diplomatiques aux militaires.

La Cour constitutionnelle a profité de l'occasion pour publier, il ne restait plus qu'elle, un pamphlet contre la clique des détracteurs: elle appelle les procureurs à la besogne: "faites en sorte d'arrêter ces critiques; le code pénal est clair: personne ne doit dire mot lorsqu'une affaire est en instance de règlement". Un autre journaliste avait eu l'audace d'appeler ces mêmes procureurs à arrêter les juges constitutionnels pour... violation de la Constitution. D'un autre côté, le Gouvernement rétorque: "le ministre de la Justice n'a aucun pouvoir sur les procureurs; à eux de prendre leurs responsabilités". Et les procureurs, coincés entre l'enclume des pairs et le marteau gouvernemental ne se bousculent pas; il faut dire que tout le monde a donné un avis sur la question, ça serait dommage d'embarquer politiciens, journalistes, militaires, patrons.
N'ayez pas peur des critiques, chers juges, tout le monde s'étonne: "vous, influencés ! Sûrement pas puisque vous jugez selon vos propres dires "en conscience"; or, la conscience d'un juge est pure, c'est connu".

Un journaliste lui a conseillé de ne plus sortir de chez lui, ça commence à devenir "les aventures de Paksüt": Paksüt à la Cour, Paksüt au tennis, Paksüt chez le Général.

Le problème n'est pas les fréquentations de Monsieur l'Ambassadeur; seulement le respect de la consigne: il n'est plus diplomate, il est Juge constitutionnel. A ce titre, il a un devoir de réserve. Verbale et physique. Les salons font fureur en ce moment: l'ancien Président de la République Ahmet Necdet Sezer et l'ancien Procureur de la République près la Cour de cassation se sont rencontrés chez un ancien ambassadeur; le chef du CHP, Deniz Baykal, a croisé, chez le Président du Conseil d'Etat, le Procureur actuel de la République, celui qui a lancé la procédure d'interdiction de l'AKP.

Les mauvaises langues disent qu'il se trame des choses; les esprits plus sensés n'en croient, évidemment, pas une miette: "un coup d'Etat juridiciaire ? Mais non !". Les coïncidences. Je crois au hasard des rencontres. Mais cette croyance se transforme en méfiance quand les protagonistes ravalent leurs chapeaux quelques jours plus tard. "Oui, c'est vrai, on s'est rencontrés, mais on n'a parlé que de sport"... Le célèbre "Oui, mais..."
Même le "crédible" a un honneur: les gardiens "honoris causa" du régime le savent mais la démission n'existe pas dans la conscience des Turcs: toute honte bue, on recommence. Ah l'honneur, "kim kaybetti de ben buldum" disent les Turcs dans certains cas de figure, "qui l'a perdu pour que je le trouve". Allez, ne soyons pas iconoclaste. Tout le monde a un honneur, personne ne le prouve, là est l'ennui...