dimanche 22 mars 2009

Vulgum pecus contra papam ergo Deum

C'est connu, il est difficile pour un chef d'Etat de dire à son hôte ses quatre vérités devant tout le monde. Il faut avoir une langue diplomatique; ne pas blesser, ne pas heurter, ne pas bousculer. Maudire dans les couloirs, se taire en public. Ou insinuer en public et atténuer en privé. Il faut éviter les ruptures diplomatiques, cela se comprend : adieu contrats, alliances, influences...


Le Pape a ce formidable privilège de parler sans tordre ses pensées; il n'a de compte à rendre qu'à Dieu. D'ailleurs, ça tombe bien, jusqu'à la confrontation, il s'est déclaré infaillible. Le Saint-Esprit est donc convoqué à chacune de ses réflexions; et sa parole devient, de fait, celle de Dieu. Et il peut ouvrir la bouche sans ressentir la crainte de se faire savonner par ses conseillers; le Vatican n'a sans doute pas trop de soucis à se faire côté contrats commerciaux.


En ce moment, il est en Afrique; un continent épuisé. La bonne parole, voilà une petite amusette utile pour réconforter le mal-en-point. Eh bien, il a tenté : "c'est toujours nous que vous grondez" a dû rouspéter Omar, celui du Soudan. Définition donc de la démocratie : "Le respect et la promotion des droits de l'homme, un gouvernement transparent, une magistrature indépendante, des moyens de communication sociale libres, une administration publique honnête, un réseau d'écoles et d'hôpitaux fonctionnant de manière adéquate et la ferme détermination, basée sur la conversion des coeurs, d'éradiquer, une fois pour toutes, la corruption. " A la face du Président angolais, entouré de toute sa bureaucratie et du corps diplomatique. "Oui oui, c'est bon, tous ces principes sont respectés au Zimbabwe, allez venez nous aider, le peuple se meurt, j'ai dépensé mes derniers sous pour acheter une maison à Hongkong", s'écrie Robert, de son côté.

"Franchement, c'est impressionnant, nan ? T'as vu, il a des c... au c... !", "Moi, je boude le Pape, il ne dit pas ce que je veux entendre ! Je veux avortement, capote, liberté, mariage des prêtres, danse dans les églises, hein". Démocratie, le cadet des soucis. La tenaillante vie quotidienne fait du discours démocratique un sujet de luxe. L'on préfère l'éradication des soucis plus oppressants. Normal.

Les discussions ont repris de plus belle sur le dogmatisme du Saint-Père. "Toujours avec ses normes figées, même le Christ aurait été excommunié, j'parie, pfff" se lancent certains; "ah oui alors, t'as bien raison, mon grand, c'est quoi ce Pape, pourquoi il nous dit ce que Dieu dit, nous, nous voulons qu'il dise à Dieu ce que nous, nous voulons". "Mais Moïse n'est plus...", "on s'en fout, qu'il négocie quand même !" Que disait George Sand dans Pauline : "toutes les nuances possibles se trouvent dans les religions vieillies; tant de siècles les ont modifiées, tant d'hommes ont mis la main à l'édifice, tant d'intelligences, de passions et de vertus y ont apporté leurs trésors, leurs erreurs ou leurs lumières, que mille doctrines se trouvent à la fin contenues dans une seule et milles natures diverses y peuvent puiser l'excuse ou le stimulant qui leur convient. C'est par là que ces religions s'élèvent, c'est aussi par là qu'elles s'écroulent"...

Même Juppé, pourtant "respectueux des valeurs chrétiennes" (nouvelle expression pour éviter de se prononcer sur le degré de piété, sans doute), se dit choqué; "ah qu'il m'énerve ce lourdaud, reviens sur terre, vieux !". Mais Sa Sainteté continue d'entonner : "humanisation de la sexualité", "non à l'avortement thérapeutique", "dangerosité du préservatif", etc. Et le café du pauvre, hein, qu'est-ce que t'en fais ? Il en a marre le type : pas de démocratie, pas de pain, pas d'eau, plus de santé, pas de sexe... quoi alors, vivre comme un pape ? Même ça, ils n'en ont pas les moyens. "Hérétiques ! Pensez au monde éternel !" C'est vrai que la frange la plus indignée n'est pas celle qui peuple les églises. Mais quand la religion est en cause, il est de bon ton de donner son avis; toujours dissident, en l'occurence. Le Parti communiste va distribuer des préservatifs place Jean-Paul II; aux Français qui en sont déjà gavés mais bon, il faut bien protester...

Mais comme la fonction du Pape requiert surtout de rester connecter avec le Ciel plus que de satisfaire les desiderata de la masse des croyants, on comprend sa rugosité. C'est une des rares croyances où même les fidèles ne cessent de demander des aménagements; et de lancer des ultimatums surtout : t'évolues ou j'te quitte. "Bah attend, il ne va tout de même pas aller distribuer des préservatifs, non plus, arrête tes conneries, toi aussi" a voulu dire Christine. Boutin. Promotion de la débauche. Par un Pape !

Pourquoi s'en prendre à lui et pas à ceux qui, en Afrique, le suivent aveuglément ? Les "humanistes laïques" devraient plutôt éclairer les "suiveurs"; un évangélisme à l'envers. "Ah bah, t'es bien marrant, toi, comment dessiller les yeux à ceux qui sont pétris de convictions ? Ils donneraient leurs vies pour leur religion !" Eh bien voilà le hic : la croyance religieuse est une histoire de logique, pas un loisir que l'on délaisse quand de graves questions de survie se posent; il faut de l'expérience spirituelle pour comprendre ces choses-là; "il n'est pas possible qu'un enfant qui tète, mange" (Rûmi)... Seul un croyant peut comprendre et "tolérer" son propre aveuglement... n'en déplaise aux bonnes consciences généreuses. Certains se sentent gênés à l'idée de violer une loi de l'Eglise (juste ou non, peu importe), on n'y peut rien, c'est comme ça. Et l'on respecte, l'on doit respecter. Le "postulat de la rationalité du croyant" nous apprenait Durkheim.

La position du Pape est claire : le dogme dit cela, à vous de choisir. L'on ne va tout de même pas fustiger un homme qui ne fait que son métier : dire à ceux que ça intéresse les vérités de leur foi. Et paradoxalement, ce sont les non-croyants ou les indifférents qui s'indignent en premier. Des théologiens, on aurait compris. Allez comprendre, une querelle de famille qui fait jaser la planète entière... Il ne manquerait plus que l'on élise le Pape démocratiquement !