Retour de l'épouvantail. L'ancien président de l'assemblée nationale turque, Bülent Arınç. Celui que j'avais "examiné", jadis. Un "dur" du parti conservateur AKP. Bonne tenue, bonne rhétorique, bonnes sorties. Enfin, pas pour tout le monde; il a eu une phrase "irrévérencieuse" à l'égard des militaires qui rêvaient de faire un coup d'Etat : "heureusement que nous ne nous sommes pas engagés dans un conflit avec ces généraux qui se sont occupés de tout sauf des affaires militaires !"
Allez pavé dans la marre. Il faut dire que l'amiral de l'époque tenait soigneusement un journal, bien écrit, circonstancié et qui, comme tout journal intime, a éclaté à la figure de ceux qui l'ont découvert. L'amiral écrivait des scénarios de putsch possibles, les avis des militaires, les discussions, etc. Un état-major bouillonnant pour des aventures... Il fallait sauver la République du peuple. "Quand un mauvais coup se mijote, il y a toujours une République à sauver" (Michel Audiard).
Le même Arınç a lancé illico presto, sans doute pour bien canaliser les critiques et se poser en victime, une autre "offense" : "bon, on en a marre, mon cher ! On se rend à une réunion privée, allez hop hymne national, on s'asseoit, on nous relève, hymne national, on s'en va, hymne national, on rentre dans un stade perdu de province, hymne national, ça suffit voyons..." Oh lo lo ! C'est vrai que, vu de France, cette constance ne se comprend pas. Allez répète le premier couplet et le refrain de la Marseillaise si t'es cap... Nous, Français, formons une Nation, évidemment; mais nous n'avons ni amour du drapeau, ni service militaire, ni connaissance de l'hymne national. Comme une boutade. Même une candidate socialiste à la Présidence de la République n'a pas pu l'imprimer dans les moeurs de ce Pays...
L'Armée a réagi; naturellement : "que pensez-vous des propos tenus par l'ancien président de l'assemblée ?", "l'état-major ne se sent pas obligé de répondre à tous ceux qui font usage de leur bouche; les idées négatives véhiculées par ces types contre l'Armée sont connues de tous". Voilà donc pour le respect. La réponse de l'intéressé ne s'est pas fait attendre : "écoute-moi bien, je ne suis ni paillasson ni tête à claques ni soldat, alors la ferme !" Ca fait un peu de bien. "Arrête de dire ça, ils vont muter ton cousin au sud-est, il risque de mourrir hein".
"Et le respect de l'uniforme ?" C'est vrai. Il faut également respecter les militaires. Il y a une drôle d'hypocrisie en Turquie : la critique contre les officiers se fait sans se faire : "ouais alors, je ne voudrais pas salir l'honneur de l'armée qui est notre fleuron, notre idole, notre héros mais il faut qu'je dise que..." Personne ne critique les soldats, l'on critique les officiers égarés. Le commandement. Celui qui continue de quitter les salles de réunion parce qu'une femme voilée se trouve dans l'estrade; celui qui classe "ennemis" tous ceux qui pensent autrement; celui qui désire s'installer au pouvoir par le biais des armes que le peuple lui a confiées pour le protéger. Bref, celui qui ne fait plus l'usage idoine de son uniforme.
Et les spécialistes nous le jurent : une armée qui se mêle de la politique se ronge de l'intérieur et devient, de ce fait, inopérante dans son "coeur de métier". Exemples ? L'attitude du Général libanais Michel Sleimane et c'est tout. Il avait tellement de mal à satisfaire toutes les communautés qu'il avait décidé de ne pas intervenir lors des désordres internes. Depuis, il est Président de la République... Celui du Madagascar vient de basculer. Celui de Guinée-Bissau en a perdu la vie.
Jadis, un seul chef d'état-major turc a essayé de rester à l'écart : Hilmi Özkök.
Quand on a commencé à l' "insulter" de démocrate, il s'en est plaint en public : "oui je le suis et alors ?", "bah, tu es dans l'erreur mon Général, il faut des déclarations massue, des rebuffades, des bourrades, de la poigne quoi, tu comprends". Son prédecesseur avait tout fait pour retarder son avancement : "oh t'imagines, un démocrate à la tête de l'armée, et en plus, il ne boit pas d'alcool, c'est bizarre, nan ? Qu'est-ce t'en penses ?"...
Les journalistes laïcards fossiles continuent cependant de s'interroger : "tu vois, ils bravent ouvertement le régime kémaliste et notre Armée gardienne de la laïcité; ils n'ont même plus honte". Heureusement que les positions de Bülent Arınç ne font plus murmurer longuement, il ne s'en cache pas. Et si tous les démocrates commencaient à "baver" ces mêmes inepties, retour à la case départ : déclarations, protestations, procès à la Cour constitutionnelle. C'est le privilège des "classés" : tant qu'ils répètent les mêmes choses, les autres s'indignent un temps et on attend le prochain épisode. Testis unus, testis nullus. Il faut encore d'autres "braves" pour qu'il y ait progrès. Par exemple, le parti d'opposition, le CHP (parti républicain du peuple, soi-disant); ça serait bien qu'il critique, pour une fois, les tentatives de pronunciamento. "Ah ça jamais, mon ami, nous respectons trop l'Etat de droit et son principe cardinal : la présomption d'innocence, haha !" Ah ouais ? Et juste une petite déclaration sur les rumeurs alors ? "Personne n'a le droit de critiquer l'Armée, même la justice !". Merci...