Commence-t-on à voir le bout du tunnel ? L'émotion monte; une réelle perspective d'avancée dans le dossier "kurde", nous disent les plus avertis. Un journaliste de renom, Hasan Cemal, a réussi à "interviewer" le "leader" par intérim du PKK (l'éternel croupissant en prison) dans le tréfonds montagneux du nord de l'Iraq. L'on apprend du coup qu'il suffit de prendre la route pour parvenir aux terroristes...
Le PKK aurait donc décidé de déposer les armes; c'est en tout cas ce que l'on comprend. "Allez, accueillez-nous, on en a marre de la vie de montagne, on veut rejoindre nos douces pénates et nos tendres mères !". Finie donc la vie troglodytique. Les principes, c'est bien beau; mais le corps, vieillissant, fatigue, se révolte, quémande un répit. L'on ne vit plus avec des principes; l'abstraction n'a jamais déridé qui que ce soit.
L'on s'attendait donc à entendre monts et merveilles en faveur de la réintégration de ces brebis égarés. Que nenni ! Le Gouvernement et le Président de la République ont bien l'air d'être ravis mais les militaires qui, comme on le sait sont pauvres en lueurs, sont à mille lieux du compromis : "ne bougez pas assassins ! Restez où vous êtes, on ne veut pas de vous, oust !". En effet, il faut des tensions. Car s'il n'y a plus de combats, il n'y a plus d'influence sur la scène politique... "Oh la la, t'es mesquin, pathétique, comment oses-tu dire des choses pareilles ! Rectifie !"
Alors que l'ancien chef d'état-major, Yaşar Büyükanıt, a reconnu lui-même qu'il était impossible d'éradiquer totalement le terrorisme; im-po-ssible. Donc ? Bah, comme il n'a jamais eu la prétention d'être savant, il recommande quand même de continuer le combat en concédant quelques miettes dans le seul domaine socio-économique. D'accord. L'on se demande alors si le combat n'est pas devenu une affaire d'ego. La funeste volonté de ne pas sembler faillir; un peu comme Uribe : ses principes et sa rancune personnelle empêchent le processus de libération des otages d'avancer sereinement. Il faut toujours qu'il mette des bâtons dans les roues.
Et Deniz Baykal, qui s'est spécialisé dans une sorte de droit d'inventaire périodique de la social-démocratie, a encore eu le réflexe que l'on attendait de lui : "soyons vigilants, a-t-il déclaré, ce sont des traîtres, il ne faut jamais les prendre au mot; le mieux, c'est de ne rien faire". L'immobilisme. On va finir par croire qu'il n'aime que la discorde; chacun son fonds de commerce... Les nationalistes, évidemment, sont les plus attendus; mais en même temps, les moins originaux. C'est connu, un nationaliste est en position de perpétuel défenseur. Lui seul aime la Nation. Mais en même temps, il a besoin de turbulences, sinon, il n'existe pas. Sa posture consiste justement à dénigrer tout ce qui peut briser l'image qu'il s'est fait de son pays. L'objectivité n'a aucun sens. Il préfère la passion inutile, il a toujours besoin d'être menacé pour vivre, toute normalité est donc suspecte, mauvaise, forfaiture. Un "nationalisme de verges", il faut toujours protester, jamais accomplir.
En Turquie, les partis politiques ont chacun leurs domaines d'intervention : le DTP toujours inconsolable sur le sort des Kurdes, le CHP toujours gémissant sur la laïcité, le MHP toujours nerveux sur l'identité nationale. Et quand, il y a une crise économique, par exemple, il ne vient à l'idée de personne de se tourner vers le CHP, parti soi-disant de gauche; car, il n'a rien à proposer. Alors, on s'en remet à l'AKP, car lui seul propose un programme complet. Une vie politique sui generis. Parfois, on se demande si ceux qui défendent une cause ne seraient pas en même temps ceux qui font tout pour qu'elle ne soit pas réglée ? Défenseurs et fossoyeurs.
Il faut dire que les Turcs ne sont pas très conciliants non plus. La passion l'emporte sur la réflexion; l'on veut du sang, la revanche, une attaque tous azimuts. Une inconscience règne; ça rappelle les temps antiques où l'on sacrifiait des humains aux dieux, sans s'interroger, sans comprendre, sans broncher. Jadis, Bülent Ersoy s'était aventurée. Mais dans son ensemble, la Nation turque est fataliste, inhibée : "jamais la paix avec ces criminels, tiens, j'élève mes enfants pour la Patrie ! Que vive la Sainte Patrie !"
Du coup, l'on ne sait plus que ressentir. Karayılan, ce "leader" par interim donc, nous apprend à l'occasion que dorénavant le PKK ne veut plus d'une quelconque indépendance. Bref, les "officiers" du PKK seraient tout ouïe aux propositions d'Ankara. Oui à la fin des combats, oui au dépôt des armes, oui aux rencontres. Et Ankara de rappeler : non aux droits constitutionnels, non à une amnistie générale, non à une décentralisation poussée. Voilà donc pour l'avancement. Entre-temps, le Premier ministre refuse toujours de serrer la main aux députés du DTP (parti pro-kurde et ouvertement vitrine politique du PKK)...
C'est vrai que la tache est rude, après 25 années de combats et près de 40 000 victimes, changer de paradigme. Récupérer ses petits si longtemps égarés. L'arsenal juridique n'est pas très huilé, en réalité. Une loi permet aux terroristes repentis n'ayant jamais participé à un crime de bénéficier d'une amnistie. Une approche individualisée. Or, le PKK et les tenants de la paix revendiquent une amnistie générale. Vaut mieux un ancien criminel au bercail qu'un autre innocent au tombeau. Il reste toutefois difficile de persuader une mère dont les larmes ne tarissent plus, de pardonner, d'ouvrir ses bras pour le bien de tous.
Et ils en veulent des choses, c'est sûr : autonomie renforcée, enseignement en kurde, service public en kurde, les noms de rue et de villages en kurde, etc. Et préfèrent se définir comme étant "de Turquie", à la place de "Turcs" pour bien montrer qu'ils vivent dans ce pays mais qu'ils ne font pas partie de l'ethnie turque. Un pied de nez à ce même Yaşar Büyükanıt qui déclarait en 2007 que celui qui refuserait de dire "heureux celui qui se dit Turc" (formule inscrite partout, murs, frontispices, voitures, livres, etc.) serait considéré comme un ennemi de la Nation. Eh bien nous voilà donc en présence d'une "cinquième colonne" de près de 15 millions d'ennemis... Et quand je dis que les militaires turcs sont grossièrement incultes... Quoique, l'ancien putschiste nonagénaire, Kenan Evren, s'était, jadis, interrogé en public : "ça fait quoi si on adopte une forme fédérative, hein, ce n'est pas la fin du monde !". Comme quoi, il faut attendre le nombre des années, pour certains...
Bref, il serait absurde, lâche voire criminel de rabrouer un ennemi qui tend la branche d'olivier. Les principes, c'est bien beau; mais ça ne sauve personne. Pourquoi la préservation de principes périmés est-elle plus sacrée que la vie des humains ? Il ne faut pas être un grand clerc pour comprendre que le sacro-saint principe de l'intégrité territoriale ne peut que se renforcer en étreignant toutes les fractions de la Nation. La Turquie aura ainsi terminé sa Révolution; en réhabilitant les kurdes, les frères d'arme de la guerre d'indépendance...