samedi 30 mai 2009

Crânerie

Le Premier ministre turc ressemble au Président Sarkozy; à chacun de ses discours, on en est arrivé à attendre soit une perle soit une nouvelle orientation qui va faire sensation. Il faut dire qu'ils sont assez impulsifs, l'un allant même jusqu'à vibrer corporellement tandis que l'autre séduit par sa carrure imposante.


Le Sieur Erdoğan a déclaré cette fois-ci : "dans le passé, nous avons maltraité nos minorités ethniques si bien qu'elles ont fui leur propre terre, je le dis haut et fort, c'était une orientation fascisante". Et hop, l'odeur de la poudre se répand. Un Premier ministre qui mérite statue pour certains, corde pour d'autres : "allez prépare-toi, tu vas finir comme Menderes, haha"... Comment a-t-il pu dire la vérité !


Un pavé dans la mare, assurément. Il faut dire qu'il fait toujours ça; des messages importants distillés à l'occasion de vulgaires "meetings" de parti. Un Premier ministre qui dénonce l'Etat et ses prédécesseurs. Une activité que déteste le Président Sarkozy, pour sa part. Et Abdelaziz, celui d'Algérie, ne pense qu'à cela; "allez, reconnaissez le génocide culturel qu'a dû endurer le peuple algérien et je signe votre traité d'amitié", "euh... bah... c'est que... nous... Vive la France, Vive la République"... Sarkozy déteste remuer le passé. "Si tu me parles encore de ça, je réduis les visas alors hein !". Et notre ministre des Anciens combattants a dû dire également des choses pour se ménager la sympathie de ses hôtes, Bouteflika ne rigole pas, c'est clair : "la France assume les pages sombres de son histoire". Merci. Mais la classe politique française adore fouiller le passé des autres, agissant comme une vieille commère investigant à droite à gauche de peur d'avoir, un jour, la bouche fermée et de subir ainsi les reproches des autres; c'est connu, on n'interroge jamais une matrone qui gémit. Tout à fait logique donc de demander aux Turcs de reconnaître le "génocide" arménien...


En réalité, les propos d'Erdogan n'ont aucun accent de sincérité; sinon, il n'aurait pas reconduit un ministre de la défense qui se gargarisait, jadis, de ne plus avoir de minorités, "elhamdulillah, on les a tous boutés hors de nos frontières". Un jour il vire les Kurdes, un jour il s'interroge sur les moyens de les intégrer. Aujourd'hui, il pleure les minorités, hier, il dénonçait les signataires de la pétition. Evolution sincère ou opportunisme ? A chacun son analyse... L'on n'attend plus qu'il émette quelques mots de regret pour la déportation des Arméniens. "Nan nan nan, elle était méritée, marre à la fin, on avait raison !" D'accord.


Le MHP a immédiatement vomi, c'est normal. "Et puis alors, on ne va tout de même pas s'excuser pour avoir mené une guerre d'indépendance ! Félon ! Vendu !" Un nationaliste ne peut avoir le luxe d'être objectif, on comprend. Les citoyens turcs sont également fâchés; surtout les batteurs de pavé qui, comme on le sait, n'ont rien à faire de leur présent alors ils trouvent refuge dans le passé glorieux de la nation turque. Sans pousser l'exercice jusqu'à la documentation, évidemment. Mais le CHP a également grondé, "comment tu oses dire cela, vendu" a lâché le Vice-Président, Onur Öymen, un ancien ambassadeur qui fait carrière au sein du CHP maintenant. Un parti de gauche comme on sait...


Jadis, quand le "leader" Deniz Baykal s'efforçait d'attirer voilées, barbus et autres frondeurs au CHP, il faisait des discours "peuple"; en critiquant notamment le comportement passé du CHP, alors parti unique. "Alors quoi ! Je reconnais, nous avons fauté, nous avons écarté la populace des rues d'Ankara, maintenant nous voulons embrasser tout le monde !" Il faut dire que les choses ne se sont pas arrangées : on vient d'apprendre qu'une juge du tribunal de Fatih à Istanbul, a viré de la salle d'audience, une demanderesse qui portait le voile intégral mais qui, pour l'ocassion, avait ouvert son visage : "ouvre tout et après, ma cocotte", "c'est bon vous voyez mon visage", "je m'en fous, ton Dieu et ses lois n'ont pas cours ici, déchire ton voile, libère-toi..." Un nouveau délire. Mais personne ne défend cette femme, évidemment, car trop voilée. Madame la juge est sans doute malade; un peu dérangée. Et elle fonde sa décision sur les lois révolutionnaires de Mustafa Kemal; incompétente par-dessus le marché...


Un autre adepte de la "repentance" : Turgut Özal, Premier ministre de la République turque de 1983 à 1989 et Président de 1989 à 1993, avait reconnu également le tort fait aux Grecs orthodoxes. Il aurait voulu les rapatrier. Et un journaliste rappelle qu'il s'était excusé des Algériens pour les avoir laissés au milieu du gué pendant leur guerre d'indépendance. Et il reste un très grand homme d'Etat; plus aimé que Mustafa Kemal...
Alors donc, égrenons : la déportation des Arméniens, les transferts de population, l'impôt sur la fortune créé en 1942 pour spolier les Juifs, les événements du 6 et 7 septembre 1955 (la Nuit de Cristal version turque, les Turcs ayant saccagé boutiques, maisons, lieux de culte des Roums sur la base d'une rumeur selon laquelle la maison de Mustafa Kemal aurait été incendiée à Salonique), et les Kurdes, n'en parlons pas. Ou parlons-en, tiens, pour une fois que le "social-démocrate" Baykal propose de participer à la résolution du problème en évoquant son adhésion à une éventuelle amnistie. Il n'y a pas d'élection en vue, il est donc sincère...


Et les orthodoxes qui n'arrivent toujours pas à former leurs prêtres. Bartholoméos va se déclarer "prisonnier à Constantinople" encore un peu. Et que dire de l'Ukraine qui veut une antenne du Patriarcat à Kiev; "on vous l'avez dit, ils veulent un Vatican bis avec ses nonces à travers le monde ! Ils veulent briser notre intégrité territoriale, réveillez-vous ! On l'avait dit, oyez, oyez, j'étouffe...."


Certains veulent trouver non pas des solutions mais des justifications. "Oui mais le traité de Lausanne parle de réciprocité, et là-bas les Turcs sont persécutés alors pourquoi nous on ferait plus ! hein !". Voilà une autre pathologie : la logique voudrait alors que l'on persécute notre minorité grecque orthodoxe ! "Et les Turcs de Grèce ?" : les pressions, les manoeuvres diplomatiques, les recours à la Cour européenne des droits de l'Homme (on l'oublie souvent mais les requêtes interétatiques sont possibles) devraient normalement faire l'affaire. Mais personne n'en veut; on doit absolument s'abaisser à leur niveau... Il n'y a pas de réciprocité dans la violation des droits de l'Homme !


Comment être une nation lorsque l'histoire de l'un ne recoupe pas l'histoire de l'autre, voilà la problématique. Lorsque le passé fait pleurer les uns et réjouit les autres ? Lorsque, en somme, l'un tient un mouchoir et l'autre un feu d'artifice pour évoquer le même événement ? Une nation, pourtant, c'est le tryptique passé-présent-futur. Et c'est si difficile de reconnaître la vérité et de s'excuser pour les torts commis ? "Et l'honneur de l'Etat ?" Mais l'honneur n'existe plus dans la fange, jeannot... Regarde, même le coq gaulois commence à reconnaître qu'il a les pattes dans la gadoue...