samedi 3 avril 2010

Commérage

Tomber amoureux, tout un drame. Le drame de tout un chacun. Allez, au moins une fois dans la vie; histoire de donner raison à la théorie. Même les plus arides ont vibré un jour; une heure, une minute, une seconde. Même les plus constipés, les philosophes, savent aimer et désirer. N'écoutez pas ce qu'ils débitent; la raison par-ci, la raison par-là... Ils attendent la nuit, comme tout bon petit bonhomme adamique.


C'est toujours bien d'avoir des ami(e)s qui s'enflamment. Une aventure collective. Ca meuble le temps, aussi. C'est qu'une amie avait succombé, un jour. Elle aimait un "rebeu". Des "bogosses", assurément. "Ces types-là priapisent", m'avait dit un jour un polar. "Comment, qu'est-ce que tu dis très cher !", "dans l'imaginaire féminin, c'est le type même de la virilité, proche et distant à la fois", "hmm...", "même les homosexuels sont de cet avis". Intéressant. Il m'avait même conté la démarche d'un jeune homme tombé amoureux d'un "beur". Rien d'extraordinaire, en soi, ça peut arriver. Le type était tellement, comment dire, "brûlant" qu'il s'était converti pour les beaux yeux de son jules. Jules qui, soi-disant, avait érigé la conversion en critère d'union. "Tu te fous de moi ?", "non non je t'assure, c'est véridique, il était tellement subjugué qu'il se proposait de devenir musulman pour pouvoir être avec lui". Eh ben. Se convertir pour vivre une idylle précisément interdite par l'islam ! Il y a donc des cerveaux qui fonctionnent ainsi...

L'amie, donc. Elle aussi bouillonnait. Ce fut la traque. En binôme, on était à ses trousses. Au sens littéral. Il vit où ? comment ? pourquoi ? pour qui ? etc. Il fréquente qui ? Il parle de quoi ? Il préfère quelle marque ? Pourquoi ? Et le parfum ? Nous épluchâmes toutes les données. Adresse, téléphone, facebook, accointance, tout. Elle devant, moi derrière. On s'était même plantés devant sa porte; dans la voiture, on admirait ses rideaux. Sa mère les avait achetés au bled, sans doute. Mais on s'en fout. "Qu'est-ce qu'on attend, qu'il sorte ?", "nan nan, il est au boulot", "ah ouais, bah on a l'air malin...", "dis pas ça, j'ai besoin de voir l'immeuble, sa boîte à lettres, les escaliers, l'interphone...", "t'es folle ?"...

L'amoureux est la personne la plus barbante au monde; ça papote et ça papote. Comme on le sait, l'amour est avant tout une affaire d'odeur. Il faut toucher l'autre; corps, vêtements, objets personnels. C'est comme ça. Faire des kilomètres ne serait-ce que pour contempler un "vide" où il serait passé, où il aurait posé le pied, la main, le fessier, etc. A la recherche du sillage, presque. Simuler des étreintes, s'inventer des odeurs, des dialogues. Une histoire de fous. Admirer en détails le visage, le corps, la démarche, la geste. "Tu m'écoutes ?", "ouais ouais, tu savais toi que sous la reine Victoria, on cachait même les pieds de tables et de pianos parce-qu'ils pouvaient faire penser à des jambes de femmes ?", "c'est quoi le rapport ?", "bah j'sais pas"...

Il faut être plus sérieux, évidemment. Ainsi, l'amour serait le résultat "d'un processus biochimique mettant en action des substances chimiques et circuits neuronaux précis dans certaines zones cérébrales" (Allan et Barbara Pease, Pourquoi les hommes veulent du sexe et les femmes de l'amour ?, p. 34). Bouououh, içine ettin. Eh ben avec ça; dopamine, ocytocine, testostérone (un mot qui se prononce comme une catastrophe), hypothalamus, amygdale, etc. J'aurais été païen, je me serais opposé au mariage, assurément. A la clause de fidélité, plutôt.

Un autre camarade, converti, cherchait une dame à sa mesure. Une pieuse. Alors, il enchaînait les "séances" de rencontres islamiques. Une fois, il était "bluffé". La fille qu'il venait de rencontrer était "en plein dedans". Elle inspirait, islam, elle expirait, islam. "Mâchâ'llâh, ça existe toujours des gens comme ça !". Le mien, bouche bée, avait été ébloui mais il n'avait pas réussi à succomber. C'est qu'il pensait ne pas être à son niveau; il voulait un couple un peu plus harmonieux. Mais il se jurait qu'il allait dorénavant prendre de bonnes résolutions : plus de télé, plus de musique. "Mais t'es dingue, tu vas vivre que pour Dieu ?", "ouaich", "mais ce n'est pas interdit le divertissement dans l'islam", "Astaghfirullâh !"... Comme le disait Raymond Devos, "on a toujours tort d'essayer d'avoir raison devant les gens qui ont toutes les bonnes raisons de croire qu'ils n'ont pas tort".

Et allez, une dernière. Une amie, encore. Elle n'a pas eu honte de s'enticher d'un type qui travaille dans une boutique de téléphonie. "T'es folle, il ne te comblera jamais, en plus tu sapes la théorie, tu devrais aimer que des rupes !", "il est canon mon mec ! Attends, j't'l décris : grand, crâne rasé, yeux pers, un délice ! En plus, il veut beaucoup d'enfants, youppi !, "malheureuse ! Tu vas énerver Babeth encore !".

"Tu jases dru là, arrête !". C'est vrai. "Dedikodu" disent les Turcs.

"Dil harâb-abâd-ı âlemde aceb vîrânedir, eksik olmaz derd ü gam güya ki mihmânhânedir" a dit le poète. Et comme tout bon poète, il a raison. Je l'avoue. бирае йае уарзын. Ha ha. Ne l'a-t-il pas dit le Prophète : "celui qui meurt d'amour est un martyr". A qui il s'adressait ?