C'est devenu machinal. Quand un élu commence à parler de laïcité, je passe immédiatement le blabla initial pour pister ce fameux "mais" qui va introduire le second morceau. Celui qui s'en prend résolument aux musulmans et à certaines de leurs "pratiques". "La laïcité, mon cher, c'est le respect de la liberté de conscience et nous respectons les croyances de tous nos concitoyens maiiiiiiis..." Ce "mais" qui enfume. C'est la fameuse parodie des constitutions plantureuses des pays dictatoriaux; elles ne parlent que des libertés jusqu'à s'en dessécher et à la fin, un article finit par révéler la blague; un ultime pied de nez qui pince les rêvasseurs. Comme la Déclaration islamique des droits de l'Homme. Liberté, liberté, liberté et paf, les deux derniers articles : "Article 24 : Tous les droits et libertés énoncés dans la présente Déclaration sont soumis aux dispositions de la Charia. Article 25 : La Charia est l'unique référence pour l'explication ou l'interprétation de l'un quelconque des articles contenus dans la présente Déclaration"...
On le sait, nos députés ont voté cette fameuse résolution (version adoptée, ici) sur "l’attachement au respect des principes de laïcité, fondement du pacte républicain, et de liberté religieuse" (je note, au passage, que mon député M. Jean-Pierre Door en est un des inspirateurs). Un peu de majesté ne fait pas de mal : "le principe de laïcité est un fondement de notre République" (alors que c'est une simple règle juridique de fonctionnement de l'Etat), "le principe de laïcité est (...) un principe de fraternité, fondement de notre vivre ensemble au-delà des différences de convictions" (du classique), "le principe de laïcité est le meilleur moyen de concilier liberté religieuse et vivre ensemble" (depuis quand au fait ?), et même "un projet d’avenir pour consolider la communauté nationale" s'il-vous-plaît.
Les députés semblaient comprendre, pourtant : "la méconnaissance de l’autre, de sa confession ou de sa philosophie, de ses espérances ou de ses doutes, entretient les peurs et le repli sur soi, au détriment de la solidarité nationale". "Au détriment de la solidarité nationale" en plus; je ne sais pas ce que ça veut dire dans le contexte de la phrase mais c'est si émouvant... Donc on avait l'air de comprendre que la méconnaissance du musulman, de sa confession ou de sa philosophie, de ses espérances ou de ses doutes, entretient les peurs et le repli sur soi. Naïveté, évidemment. Le reste du texte est édifiant : c'est le musulman qui affole l'autre, le non-musulman, le vrai français...
Tiens ! Voilà le "mais" en filigrane : "Tout en défendant sans ambiguïté la liberté religieuse, nous ne pouvons pas rester indifférents face au développement de dérives qui, sous couvert de liberté de manifester ses croyances et de relativisme culturel, constituent une négation de notre vivre ensemble, une mise en cause de ce qui fait la spécificité du modèle républicain français et fragilisent l’ensemble de la communauté nationale". Traduction : la femme niqabée nargue, menace et altère le mode de vie français. Et non la laïcité. D'ailleurs, Madame Hostalier, qui s'était évanouie lorsqu'une femme voilée avait joué la citoyenne excessive en prenant place dans le balcon de l'assemblée, l'avoue lors de la discussion : "aujourd’hui, la mondialisation, l’ouverture vers d’autres cultures, grâce notamment aux nouveaux moyens de communication modernes, l’arrivée sur notre sol de populations immigrées ayant d’autres modes de vie, nous confrontent à des comportements qui ne sont pas toujours compatibles avec les valeurs issues de notre histoire. C'est pourquoi, il est apparu nécessaire de recadrer, parmi les valeurs de la République, celle de la laïcité"...
Et voilà ce qui ressort tout naturellement de ce "râlage législatif" : "Mais parce que le principe de laïcité assure la liberté de conscience, c’est, plus largement et au-delà des rapports avec les pouvoirs publics, la liberté religieuse qui doit être réaffirmée"... Ahhhh ! Et en plus, "ce principe de laïcité n’est pas la négation des religions ou le combat contre celles-ci. Il garantit la liberté de conscience et la liberté de culte et assure le respect des croyances de chacun". Comprenne qui pourra...
Donc, pour assurer le respect des croyances de chacun :
- "Les associations cultuelles ou à but religieux doivent pouvoir financer, grâce aux dons de leurs membres, l’édification de lieux de culte à taille humaine, selon leur besoin, dans le respect des règles d’urbanisme et dans la plus grande transparence. Hors manifestations traditionnelles, nul ne peut se satisfaire d’un exercice récurrent du culte sur la voie publique, qui cause un trouble à l’ordre public". Les musulmans sont fous de joie. Leur prière collective du vendredi est en passe d'être considérée comme une "manifestation traditionnelle".
- "Le principe de laïcité [doit être] étendu à l’ensemble des personnes collaborant à un service public ainsi qu’à l’ensemble des structures privées des secteurs social, médico-social, ou de la petite enfance chargées d’une mission de service public ou d’intérêt général" (point 7). Derechef, ça les apaise.
- "[Il est] souhaitable que, dans les entreprises, puisse être imposée une certaine neutralité en matière religieuse, et notamment, lorsque cela est nécessaire, un encadrement des pratiques et tenues susceptibles de nuire à un vivre ensemble harmonieux" (point 10). Encore mieux, le législateur se propose d'instaurer des discriminations fondées sur la religion. Et il fait montre d'une intelligence débordante en profitant de l'occasion pour citer une disposition constitutionnelle qui appuie fermement sa proposition : l'alinéa 6 du préambule de la Constitution de 1946 qui dispose que "Nul ne peut être lésé, dans son travail ou dans son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances"...
- Le législateur "souhaite, afin que chacun puisse exercer sa liberté religieuse, clarifier et aménager, conformément aux exigences de transparence financière, le régime de financement de la construction et de l’entretien des lieux de culte" (point 11). Je n'ai pas compris le sens de la phrase mais ça doit être en faveur des musulmans...
"Cette proposition de résolution est l’occasion d’affirmer une vision positive de la laïcité, empreinte de respect et de tolérance", nous apprenait le Sieur Copé lors de la discussion. Et Monsieur le ministre Guéant déclarait : "nous devons amplifier les efforts conduits depuis 2003, notamment en ce qui concerne les ministres du culte musulman. Il s’agit de mieux insérer ces ministres du culte au sein de la République, afin de mieux faire respecter ses valeurs" et "la laïcité n’est pas un facteur de division, mais de rassemblement. Elle demande simplement aux uns et aux autres d’accepter de faire les concessions qui sont indispensables à l’existence d’une vie harmonieuse en société". Ah bon ?
Quand l'islam est en cause, nos élus s'empressent de promettre une loi ou une réflexion ou une commission ou une résolution. Celle-ci dit tout et son contraire. Parfois ça tourne au rocambolesque; ainsi l'UMP envisageait "une réflexion sur les moyens d’éviter que des ministres du culte aient un lien de subordination avec un État étranger". Heureusement que le Sieur Baubérot était là pour rappeler une évidence : cette proposition mène à l'interdiction de la messe en France ! Ah oui alors, on aurait compris pour des imams, muftis, grands muftis, mollahs et autres enturbannés soumis à un Calife qui vivrait à Istanbul tiens !, mais quand on s'est rendu compte que ça touchait aussi le Vatican...
Et quand l'UMP votait cette résolution, le PS eut l'audace de s'y dresser afin de défendre contre le populisme la vraie laïcité, croyait-on que nous apprîmes que ce parti de gauche s'opposait surtout au terme "liberté religieuse"; il préférait (à raison) "liberté de conscience"; il s'opposait également (encore à raison) aux aides publiques pour la construction des édifices. Ah oui, il était également contre la "codification de la loi de 1905" (si tant est que cela veuille bien dire quelque chose). Et c'était tout. La liberté des mères voilées, la liberté des travailleuses du secteur privé, rien ! Merci Noël Mamère : "Vous voulez établir deux catégories de mères aux yeux des enfants et des enseignants : les mères dignes de s’intégrer dans la communauté scolaire et celles qui en sont indignes", "Vous tenez même à vous ingérer dans la politique des entreprises en imposant des règles dans les entreprises privées. Votre projet de résolution tout entier est contraire au pacte international relatif aux droits civils et politiques ainsi qu’à la Convention européenne des Droits de l’homme, dont l’article 9 précise que « toute personne a le droit à la liberté de pensée, de conscience, de religion » et que ce droit implique « la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé ». "Cinquante ans après la Guerre d’Algérie, vous êtes en train de recréer petit à petit ce que l’on pourrait appeler un code de l’indigénat. Assez de ces mesures vexatoires qui ne visent qu’à renforcer le climat de xénophobie et d’islamophobie pour créer une stratégie de la tension à la veille des échéances de 2012. L’espace public est un lieu d’expression où toutes les opinions doivent pouvoir s’exprimer".
Le diable ne se cache même plus dans les détails, très cher. Il se cache dans l'adjectif. Quand quelqu'un accole un adjectif au terme laïcité, du genre "libérale", "équilibrée", "positive", comprenez qu'on va appliquer son contraire. Expérience... Le drame dans tout cela, c'est qu'on a confondu encore une fois, le respect des droits d'autrui et le respect des valeurs d'autrui. La laïcité implique le premier, pas le second. Et comme l'a dit justement Jean Glavany pour la première fois de sa vie sur cette question, "pour notre part, nous ne mettons pas le doigt sur la couture du pantalon" car ce n'est pas la République qui s'est exprimée ici, c'est la "fille aînée de l'Église"...
On le sait, nos députés ont voté cette fameuse résolution (version adoptée, ici) sur "l’attachement au respect des principes de laïcité, fondement du pacte républicain, et de liberté religieuse" (je note, au passage, que mon député M. Jean-Pierre Door en est un des inspirateurs). Un peu de majesté ne fait pas de mal : "le principe de laïcité est un fondement de notre République" (alors que c'est une simple règle juridique de fonctionnement de l'Etat), "le principe de laïcité est (...) un principe de fraternité, fondement de notre vivre ensemble au-delà des différences de convictions" (du classique), "le principe de laïcité est le meilleur moyen de concilier liberté religieuse et vivre ensemble" (depuis quand au fait ?), et même "un projet d’avenir pour consolider la communauté nationale" s'il-vous-plaît.
Les députés semblaient comprendre, pourtant : "la méconnaissance de l’autre, de sa confession ou de sa philosophie, de ses espérances ou de ses doutes, entretient les peurs et le repli sur soi, au détriment de la solidarité nationale". "Au détriment de la solidarité nationale" en plus; je ne sais pas ce que ça veut dire dans le contexte de la phrase mais c'est si émouvant... Donc on avait l'air de comprendre que la méconnaissance du musulman, de sa confession ou de sa philosophie, de ses espérances ou de ses doutes, entretient les peurs et le repli sur soi. Naïveté, évidemment. Le reste du texte est édifiant : c'est le musulman qui affole l'autre, le non-musulman, le vrai français...
Tiens ! Voilà le "mais" en filigrane : "Tout en défendant sans ambiguïté la liberté religieuse, nous ne pouvons pas rester indifférents face au développement de dérives qui, sous couvert de liberté de manifester ses croyances et de relativisme culturel, constituent une négation de notre vivre ensemble, une mise en cause de ce qui fait la spécificité du modèle républicain français et fragilisent l’ensemble de la communauté nationale". Traduction : la femme niqabée nargue, menace et altère le mode de vie français. Et non la laïcité. D'ailleurs, Madame Hostalier, qui s'était évanouie lorsqu'une femme voilée avait joué la citoyenne excessive en prenant place dans le balcon de l'assemblée, l'avoue lors de la discussion : "aujourd’hui, la mondialisation, l’ouverture vers d’autres cultures, grâce notamment aux nouveaux moyens de communication modernes, l’arrivée sur notre sol de populations immigrées ayant d’autres modes de vie, nous confrontent à des comportements qui ne sont pas toujours compatibles avec les valeurs issues de notre histoire. C'est pourquoi, il est apparu nécessaire de recadrer, parmi les valeurs de la République, celle de la laïcité"...
Et voilà ce qui ressort tout naturellement de ce "râlage législatif" : "Mais parce que le principe de laïcité assure la liberté de conscience, c’est, plus largement et au-delà des rapports avec les pouvoirs publics, la liberté religieuse qui doit être réaffirmée"... Ahhhh ! Et en plus, "ce principe de laïcité n’est pas la négation des religions ou le combat contre celles-ci. Il garantit la liberté de conscience et la liberté de culte et assure le respect des croyances de chacun". Comprenne qui pourra...
Donc, pour assurer le respect des croyances de chacun :
- "Les associations cultuelles ou à but religieux doivent pouvoir financer, grâce aux dons de leurs membres, l’édification de lieux de culte à taille humaine, selon leur besoin, dans le respect des règles d’urbanisme et dans la plus grande transparence. Hors manifestations traditionnelles, nul ne peut se satisfaire d’un exercice récurrent du culte sur la voie publique, qui cause un trouble à l’ordre public". Les musulmans sont fous de joie. Leur prière collective du vendredi est en passe d'être considérée comme une "manifestation traditionnelle".
- "Le principe de laïcité [doit être] étendu à l’ensemble des personnes collaborant à un service public ainsi qu’à l’ensemble des structures privées des secteurs social, médico-social, ou de la petite enfance chargées d’une mission de service public ou d’intérêt général" (point 7). Derechef, ça les apaise.
- "[Il est] souhaitable que, dans les entreprises, puisse être imposée une certaine neutralité en matière religieuse, et notamment, lorsque cela est nécessaire, un encadrement des pratiques et tenues susceptibles de nuire à un vivre ensemble harmonieux" (point 10). Encore mieux, le législateur se propose d'instaurer des discriminations fondées sur la religion. Et il fait montre d'une intelligence débordante en profitant de l'occasion pour citer une disposition constitutionnelle qui appuie fermement sa proposition : l'alinéa 6 du préambule de la Constitution de 1946 qui dispose que "Nul ne peut être lésé, dans son travail ou dans son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances"...
- Le législateur "souhaite, afin que chacun puisse exercer sa liberté religieuse, clarifier et aménager, conformément aux exigences de transparence financière, le régime de financement de la construction et de l’entretien des lieux de culte" (point 11). Je n'ai pas compris le sens de la phrase mais ça doit être en faveur des musulmans...
"Cette proposition de résolution est l’occasion d’affirmer une vision positive de la laïcité, empreinte de respect et de tolérance", nous apprenait le Sieur Copé lors de la discussion. Et Monsieur le ministre Guéant déclarait : "nous devons amplifier les efforts conduits depuis 2003, notamment en ce qui concerne les ministres du culte musulman. Il s’agit de mieux insérer ces ministres du culte au sein de la République, afin de mieux faire respecter ses valeurs" et "la laïcité n’est pas un facteur de division, mais de rassemblement. Elle demande simplement aux uns et aux autres d’accepter de faire les concessions qui sont indispensables à l’existence d’une vie harmonieuse en société". Ah bon ?
Quand l'islam est en cause, nos élus s'empressent de promettre une loi ou une réflexion ou une commission ou une résolution. Celle-ci dit tout et son contraire. Parfois ça tourne au rocambolesque; ainsi l'UMP envisageait "une réflexion sur les moyens d’éviter que des ministres du culte aient un lien de subordination avec un État étranger". Heureusement que le Sieur Baubérot était là pour rappeler une évidence : cette proposition mène à l'interdiction de la messe en France ! Ah oui alors, on aurait compris pour des imams, muftis, grands muftis, mollahs et autres enturbannés soumis à un Calife qui vivrait à Istanbul tiens !, mais quand on s'est rendu compte que ça touchait aussi le Vatican...
Et quand l'UMP votait cette résolution, le PS eut l'audace de s'y dresser afin de défendre contre le populisme la vraie laïcité, croyait-on que nous apprîmes que ce parti de gauche s'opposait surtout au terme "liberté religieuse"; il préférait (à raison) "liberté de conscience"; il s'opposait également (encore à raison) aux aides publiques pour la construction des édifices. Ah oui, il était également contre la "codification de la loi de 1905" (si tant est que cela veuille bien dire quelque chose). Et c'était tout. La liberté des mères voilées, la liberté des travailleuses du secteur privé, rien ! Merci Noël Mamère : "Vous voulez établir deux catégories de mères aux yeux des enfants et des enseignants : les mères dignes de s’intégrer dans la communauté scolaire et celles qui en sont indignes", "Vous tenez même à vous ingérer dans la politique des entreprises en imposant des règles dans les entreprises privées. Votre projet de résolution tout entier est contraire au pacte international relatif aux droits civils et politiques ainsi qu’à la Convention européenne des Droits de l’homme, dont l’article 9 précise que « toute personne a le droit à la liberté de pensée, de conscience, de religion » et que ce droit implique « la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé ». "Cinquante ans après la Guerre d’Algérie, vous êtes en train de recréer petit à petit ce que l’on pourrait appeler un code de l’indigénat. Assez de ces mesures vexatoires qui ne visent qu’à renforcer le climat de xénophobie et d’islamophobie pour créer une stratégie de la tension à la veille des échéances de 2012. L’espace public est un lieu d’expression où toutes les opinions doivent pouvoir s’exprimer".
Le diable ne se cache même plus dans les détails, très cher. Il se cache dans l'adjectif. Quand quelqu'un accole un adjectif au terme laïcité, du genre "libérale", "équilibrée", "positive", comprenez qu'on va appliquer son contraire. Expérience... Le drame dans tout cela, c'est qu'on a confondu encore une fois, le respect des droits d'autrui et le respect des valeurs d'autrui. La laïcité implique le premier, pas le second. Et comme l'a dit justement Jean Glavany pour la première fois de sa vie sur cette question, "pour notre part, nous ne mettons pas le doigt sur la couture du pantalon" car ce n'est pas la République qui s'est exprimée ici, c'est la "fille aînée de l'Église"...