lundi 5 septembre 2011

Et notre première pensée va à...

Une victime collatérale ou une affidée raboteuse ? La question que je me pose. La famille Qadhâfî se démembre, s'éparpille en direct mais c'est cette femme qui m'intrigue le plus. Oui, au fait, c'est une rescapée ou une partisane, cette dame ? Car le tableau est navrant sinon déchirant. Une tragédie. Être l'épouse d'un fou, un vrai. Être la mère de petits monstres, hautains, violents, cruels à qui fera mieux que l'autre. Être une femme qui pleure la mort de ses fils. Être une femme qui célèbre la naissance d'une petite-fille, le premier jour de son exil. Être une folle, sans doute. Après tout, la dinguerie familiale l'a, peut-être, touchée. La matriarche du clan. Issue d'une famille catholique originaire de Mostar, petite-fille d'un inspecteur croate de l'Education nationale austro-hongroise (tout cela, au conditionnel), infirmière de profession, mère de philosophe, d'avocate, d'officiers, de footballeur et de médecins. Femme de dictateur. Voici Madame Safia Kadhafi...




Elle n'a ni l'élégance d'une Cheikha Mozah, ni le charisme d'une Suzanne Moubarak, ni l'arrogance d'une Leïla Ben Ali, ni la modestie d'une Lalla Salma, ni l'assurance d'une Asma el-Asad ou d'une Rania de Jordanie. On ne l'a vue que très peu, on ne l'a jamais entendue, on l'a rarement admirée. Les mauvaises langues disent qu'elle n'en a pas moins amassé une fortune; peut-être. Elle n'en demeure pas moins aujourd'hui, une mère meurtrie. On se rappelle tous Sadjida Talfah, épouse de Saddam, autre mère talée. Deux fils et un petit-fils tués, deux gendres assassinés. Son triste sort aurait poussé Safia Kadhafi à convaincre son mari d'arrêter son programme nucléaire. Aujourd'hui, c'est son tour. Qui convoque-t-on dans ces moments-là ? "Dieu ?". Non, Victor Hugo : "Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne,/ Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends./ J'irai par la forêt, j'irai par la montagne./ Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps./ Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,/ Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,/ Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,/ Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit./ Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe,/ Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,/ Et quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe/ Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur." (Les Contemplations).


Une Première Dame donc qui débarque avec ce qu'elle a pu recueillir de sa famille, en Algérie. On la laisse se reposer... Madame Bouteflika en a sans doute été touchée, pouvions-nous penser que nous devons nous raviser. C'est que l'Algérie n'a pas de Première Dame. Ou plus exactement de Première Dame visible. Car le Sieur Bouteflika la cache, comme le faisait en son temps le Roi du Maroc et comme le fait actuellement le Roi d'Arabie Saoudite (et comme ne l'a jamais fait Ahmadinejad, dit en passant). Bouteflika l'aurait épousée, Madame Amal Triki donc, sur le tard, dans les années 90. Quand il était cinquantenaire. Et cela pour pouvoir se présenter à l'élection présidentielle, paraît-il, car la Constitution algérienne exige dans son article 73 que le conjoint du candidat ait la nationalité algérienne, autrement dit que le Président soit marié. On sait au moins qu'en cas de pépin, elle n'aura pas à fuir le pays puisqu'elle ne vivrait pas en Algérie mais à Paris. On la laisse se délasser l'esprit...


Sur les forums algériens, certains de ses compatriotes préfèrent ne pas trop réfléchir sur cette configuration. Une drôle de vie de famille, reconnaissons-le. C'est qu'on a peur de découvrir des choses sur le Président, du genre il était très attaché à sa mère, il n'a jamais eu d'enfant, c'est donc bien qu'il se peut qu'il soit, etc... Un "rebeu" gay, tout ce qui fait fantasmer les Occidentaux. "Qu'on le laisse tranquille ! On n'a pas à connaître la vie privée de nos dirigeants !" disent les plus gênés. Ah ouais ? Pourquoi donc ? N'est-ce pas normal de savoir ce que devient la femme de son Président ? En Turquie, par exemple, la vie privée de Mustafa Kemal est soigneusement tue. Non non, ce ne sont pas les écrits et les témoignages qui manquent, c'est l'autocensure qui prévaut. C'est vrai qu'un de ses plus féroces dissidents avait prétendu qu'il était bisexuel; on sait aujourd'hui qu'il a fiellé par rancune et par jalousie. Ses propos restent très agressifs et ses mémoires qui les contiennent sont toujours interdits de publication en Turquie. En France, non; en voilà donc un extrait qui met si mal à l'aise que je ne le traduis pas, débrouillez-vous : "Müthiş bir ayyaştır. Her gece sabaha kadar içer, körkütük olur. Bütün ömrü öyledir. Gençliği de böyle içki ve fuhuş ile geçmiştir. Recûliyeti yoktur, fakat şehvete pek düşkündür. Fuhşun kadın, erkek, fail, mef'ul her nev'ini yapar. Bu sebepten veya anası fahişe olduğundan olacak ki, bütün milletten namus ve iffeti kaldırmağa çalışır" (Dr. Rıza Nur, Hayat ve Hatıratım, cild 4, s. 1517).


Il reste que les mémoires de sa femme Latife Hanim (nièce de l'écrivain Halid Ziya Uşaklıgil, oui oui celui qui a écrit Aşk-ı Memnu) restent cadenassés dans les coffres de la Société d'histoire turque (Türk Tarih Kurumu). Et aucun historien ne s'aventure à papoter sur les relations d'Atatürk avec Fikriye Hanim dont certains disent qu'elle lui a donné un fils, alors que la vulgate officielle fait de lui, un homme de marbre, sans femme et enfants, dévoué à sa seule passion, sa république; dans ces "certains", il y a tout de même le neveu de Latife Hanim, Mehmet Sadık Öke. Qui prétend, en outre, qu'il avait également eu un fils d'une non-musulmane mais que la famille préférerait ne pas trop s'étendre là-dessus... On les laisse tous reposer en paix.


Parlant de Mustafa Kemal, on ne peut passer sous silence son engagement en Libye, il y a exactement un siècle. C'est qu'il était un officier ottoman qui tentait de faire face aux Italiens pour garder la province. Une implication ottomane si hardie (malgré la défaite) qu'en 1918, c'est le Cheikh Sanussi de Libye qui dirigea la cérémonie impériale du pèlerinage à Eyüp. En effet, dans la tradition ottomane, l'intronisation du nouveau sultan commence par son cülus (la montée sur le trône), se poursuit par le serment d'allégeance (la bey'at) et se termine (en tout cas à partir du XVIIè siècle) à la mosquée d'Eyüp où l'impétrant est ceint du sabre (kılıç kuşanma). Cet épisode du rite est normalement assuré par le Nâkibül'eşraf (le chef de la famille des descendants du Prophète qui est donc un Arabe chaféite) ou le Şeyhül'islam (le plus haut dignitaire religieux de l'empire).


Eh bien, l'histoire retiendra que la dernière "cérémonie du sabre" de l'empire ottoman a été confiée à un Cheikh libyen reconnaissant. Tellement reconnaissant que le neveu de ce dernier, devenu Idriss Ier, émir puis roi de Libye, appela au poste de Premier ministre, un sous-préfet turc, Sadullah Koloğlu (dont le fils est un journaliste célèbre, Orhan Koloğlu). Ah oui alors, les deux nations sont très proches. La preuve récente en est que la fameuse réplique par laquelle Saïf ul islâm a envoyé dinguer le monde entier avec sa Cour pénale internationale ( طز في المحكمة الدولية ) contenait un mot turc; "tuz" (طز) c'est-à-dire "sel". Un mot turc devenu gros mot en arabe vulgaire, une étymologie qui remonte aux taxations du sel égyptien par l'administration ottomane. Répétons donc, quand quelqu'un nous enquiquine, on ne dit plus "va te faire ..." mais "Tuz !". Ca fait distingué...


Il était arrivé balbutiant; déjà fou. Il s'en va barjo fieffé. Le roi Idriss Ier était en Turquie quand il a été déposé par Kadhafi. Celui-ci a été renversé mais sa voix radiophonique se fait entendre de Syrie. Le prince Muhammad As-Sanussi est présent, lui; il a soutenu son peuple (comme l'a fait, hier, le prétendant au trône d'Egypte), est revenu en mars 2011 après tant d'années d'exil et a enfin "avoué" qu'il était prêt à monter sur le trône. Voilà donc où on en est arrivé de fil en aiguille, du coq à l'âne, de-ci, de-là. La Providence, que veux-tu. Je ne voudrais pas "m'ingérer dans les affaires intérieures" de la Libye maiiis... voilà quoi. Notre première pensée va donc à...