mercredi 27 août 2008

Clopin-clopant

Décidément, c'est un phénomène; même Le Monde en parle. La série turque, Noor et Mohanned dans la version arabe, Gümüş en Turquie.


Une de ces séries que l'on suit fièvreusement. Mon père la détestait; des séries où l'on affichait crânement des "rapprochements" corporels ne pouvaient que le rebuter. La vieille école. Non pas qu'il fût obtus mais la simple pudeur. C'est comme ça. L'influence d'une version bridée de la morale. Ca me semblait bizarre d'ailleurs car en plus d'être musulman, "modéré" dit-on aujourd'hui, il avait tout de même du sang ossète; et les Ossètes n'ont jamais eu la prétention d'être des adeptes de la sacristie; l'absence de la phallocratie les a conduits à la modération tous azimuts. C'est connu, le degré de piété augmente à mesure que gonfle l'animosité envers la féminité et son ressort principal, le risque d'embrasement.

Les Turcs sont plus libres, sur le plan des moeurs, que les Arabes. La série n'est donc pas aussi étrangement accueillie; certes, les scènes de tendresse sont mesurées, un torse nu par-ci, une chemise de nuit par-là, on est loin de la "déraison" des séries latino-américaines. De la tendresse; la scène d'un lit un peu froissé, des têtes échevelées, etc. Le "suggéré". Mais jamais d'ébats. La scène de Ivo di Carlo enlacé à Milagros fait toujours rougir la ménagère. Depuis, on a introduit le système de la signalétique "interdit aux moins de ...".

Les imprécations s'épanchent : alors que les téléspectateurs se reposaient les doigts de pied en éventail après une rude journée (de travail pour les hommes et de palabre pour les femmes), retentit le bruit des muftis : "c'est de la fange, misérables, fermez-moi cette pouffiasserie, contentez-vous de vos partenaires. Parpaillots !". Un ponte religieux d'Arabie Saoudite a même décrété que ce genre de visions ne seyait pas au mode vie imposé par ALLAH et Son Prophète.

Les sociétés musulmanes sont, en général, raides du fait même de la gravité qu'impose la religion (d'où le vagissement des laïcistes en Turquie) et il est difficile de se construire une personnalité; de celle que l'on retrouve ailleurs : épanouie, stable, apaisée. Je connais la rigueur : mon père voulait absolument que l'on observe les règles de conduite qu'impose une bonne éducation ossète : déférence pour les anciens, étiquette en guipure, l'art de prendre la parole et surtout de la rendre, l'art de présenter un verre d'eau, l'art de marcher, etc. Un mode nécessaire, d'accord mais parfois étouffant. Heureusement, ces rituels ont été purgés. Tous les gestes mentionnés perdurent mais on est à la coule. Et mon père n'est plus. Et les Sages deviennent eux-mêmes de plus en plus libéraux, "et puis flûte, on n'a qu'une vie !".

Bref, un moment de plaisir devient un combat de fatwas. Le grand blond fait fantasmer; techniquement, il est difficile de se partager les chefs-d'oeuvre de la nature. Les femmes seraient en transe, à en croire les chroniqueurs judiciaires, les demandes de divorce explosent, la faute à Kivanç Tatlituğ, la faute à Songül Öden... mais les naissances aussi, on se bouscule à l'état civil, "Noor et Mohanned, note, note...". C'est vrai que le fait de divorcer pour une "image", une "icône", un type trop éloigné des canons de l'arabité désole les religieux. Ils savent eux, le désir est le père de tout dérèglement. Et cela n'entre pas dans le contrat de société : Sourate 24, versets 30-31 : "Dis aux croyants de baisser leurs regards et de garder leur chasteté (...) Et dis aux croyantes de baisser leurs regards, de garder leur chasteté (...)".


"Les gueuses, elles s'enflamment si vite... c'est vrai qu'il est pas mal, hein ?" peut-on se bercer, "elles ne font que se rinçer !" peut-on se berner. En tout cas, elles font jaser le monde entier, et ce n'est pas si mal dans un domaine où l'on s'y attend le moins. Les regards se mêlent, torves ou de merlan frit.

"L'oeil n'a qu'une quantité d'éblouissement possible" nous apprend Victor Hugo. La satiété n'existe pas dans ces contrées. Le "soft" déclenche monitions. Mais, c'est comme ça, ce n'est pas sans rime ni raison dans leur weltanschaaung, gardons-nous d'exporter nos indignations. "D'abord, à quoi ça sert les mots quand on est fixé ? A s'engueuler et puis c'est tout" (L-F Céline).