dimanche 24 août 2008

Le robinet d'eau tiède

La Cour de Cassation turque a pondu une décision qui, comme d'habitude, fait jaser les "columnists". L'affaire porte, encore une fois, sur le voile. Mais dans un cadre inhabituel : celui du divorce. On sort du Conseil d'Etat, déjà assez orienté sur cette question, pour saluer la Robe judiciaire.

Une femme, visiblement bonne robe, accourut devant les juges : "Mon mari est un âne bâté, il veut que je m'enturbanne, c'est inouï n'est-ce pas ? Démariez-nous". Le mari venait de trouver le chemin de Damas; le zèle des nouveaux convertis étant proverbial, il se mit à presser sa femme à devenir "plus musulmane". Et comme la "musulmanité" d'une femme se mesure à l'aune de sa tenue vestimentaire, il lui demanda, "à sa manière", de bien vouloir porter un voile. Symbole de piété. Ou peut-on fantasmer : il a sans doute postulé un emploi public et comme tout le monde sait, le gouvernement ne nomme que des "pieux" aux différentes fonctions. Et les enquêtes de piété ne se font pas dans les mosquées ou les institutions caritatives mais simplement au niveau des épouses. Le Président de la République, le Premier ministre, le Président de la Banque centrale, le Directeur de la chaîne publique, etc répondent à cette exigence. Des fiches à la Combes mais dans l'autre sens...

D'aucuns remuent à force de bourrades la société civile : "réveillez-vous, on devient l'Iran ou la Malaisie, j'chai pas moi, un truc de c'genre, regarde ça, ça pullule, on bascule, mon Dieu". Je suis de ceux qui suivent de loin ces vaticinations. Mais sûrement pas des calembredaines. Il faut les rassurer, dit-on au Gouvernement : "bon alors, même la Cour constitutionnelle t'a balancé, on avait déjà peur; allez, prouve-le que tu n'veux pas nous ôter notre mode de vie, dis-le que t'es pas méchant".

Les sociologues avaient dû descendre dans l' arène médiatique pour expliquer au peuple guettant lippe en trompe, qu'il ne fallait pas s'inquiéter : "c'est rien, les conservateurs deviennent riches, c'est tout; du coup, ils sortent, lèchent les vitrines, visitent les zoos, point. Il n'y a pas de multiplication, simple brisure de coque". Les psychiatres aussi avaient des choses à dire mais personne n'osa tendre l'oreille. "Non, ce n'est pas la paranoïa, je vous dis que je connais leur dessein, ils veulent nous envelopper". Même les psy ne se font plus respecter. La science se trompe, bel aveux pour un positiviste...

Cette "martyr" de l'oscurantisme a bien évidemment obtenu le divorce; mais les juges du fond n'étaient pas très alertes, ils avaient renvoyé la demanderesse pleurer ailleurs, tirant prétexte du fait que cette configuration n'était pas un cas de divorce. Les Juges de la Cassation n'y vont pas par quatre chemins : "Mais, c'est un primate, ton mari, petite, le voile est contraire à la vêture qu'impose la civilisation moderne". Le Conseil d'Etat français s'était contenté de faire référence aux "valeurs de la société française" (et en plus, c'était pour un voile intégral).

Le problème saute aux yeux : ce n'est pas le harcèlement du mari stricto sensu qui est condamné, c'est le fait qu'il l'a forcée à porter un voile. Autrement dit, s'il avait poussé sa femme à déchirer son voile, nos juges auraient applaudi avec allégresse et traité l'affaire sous une qualification autre que celle du divorce. Les juges s'abîment encore une fois dans la "religion civile". Les canons de la civilisation se déterminent chez les Sages du Palais : une journaliste demande avec raison : "et si une femme veut divorcer parce-que son mari l'empêche d'ôter son maillot de bain à la plage, comment fait-on ?". Tout devient possible dans un monde où la morale se targue d'avoir déraillé : "je veux divorcer, il refuse les partouzes, quel troglodyte !", "je divorce, il veut m'engrosser, canaille, ça se fait plus ça", "je divorce, parce-que le mariage, c'est con", etc.

"N'importe quoi, tu fais de la démagogie". Les exagérations d'aujourd'hui deviennent les réalités de demain. Ce n'est pas le laïciste qui me contredira. Allez, je ne vais plus m'abreuver à cette source, ça devient affolant. Les rondiers ne lâcheront pas jusqu'à ce que Erdoğan quitte le pouvoir. Il est temps de changer de saison. "Dans beaucoup de vos discours, la pensée est à moitié assassinée". Epoussetez, époussetez, ... On aurait bien secoué la poussière de nos pieds mais ce n'est pas à nous de partir. Soyons bouddhiste un instant : soignez votre "souffrance omniprésente", on vous attend dans le "véhicule", "petit" ou "grand" peu importe...