samedi 30 août 2008

Du bon usage de Mustafa Kemal

Il est presque naturel pour un policier municipal de frapper un marchand ambulant, ("işportacı", "street seller"). Personne ne s'en offusque en Turquie. L'économie souterraine. Le "molesté" chante toujours le même refrain : "ne me fais pas ça Abi ("frère" en turc), j'ai quatre gosses à nourrir, je t'en supplie". Les représentants de l'ordre restent mécaniques : coups de pied, culbutage, insultes et chambardement de la charrette à fruits et légumes. Les plus "zélés" optent également pour l'écrasement; et rient comme des païens.

Un épicier qui s'entêtait à vendre de l'alcool après 23h a reçu la visite des "mercenaires de la Mairie"; à Keçiören, un "arrondissement" d'Ankara, là où habite précisément le Premier Ministre : quelques baffes, chemise déchirée, vendeur malmené, et silence. Sous les fenêtres du Premier Ministre le "chariatiste". Personne n'en a parlé; Son Excellence des Etats-Unis, Ross Wilson, s'est, bizarrement, enquis de la situation de ce pauvre hère. Les journalistes se sont réveillés.

Un imam nous avait raconté dans son sermon du vendredi que jadis sous le Grand Mustafa Kemal, on frappait les gens pour qu'ils aillent à la mosquée; comme en Iran ou en Arabie Saoudite. Ebaubis que nous fûmes, nous n'avions pas demandé ses sources. Les imams ne prouvent jamais; de l'encombrement inutile. Ca me paraît toujours louche mais il est difficile d'exhumer des choses sur Atatürk. Une légende urbaine ?

Le Gouvernement est conservateur; il n'a pas à s'en excuser, évidemment. Dans cette affaire, il fait le lambin alors que d'autres échafaudent : "allez, on le sait, ce sont les fieffés larbins, je te l'ai dis, on devient l'Iran, bouge ton derche !". Interdire la vente d'alccol après une certaine heure n'est pas une ineptie mais de là, à flageller le vendeur ! c'est un scandale. Une atteinte à son intégrité physique. De l'inacceptable. "Arrête de faire le goy, dis-le, bien fait, ça t'apprendra, hérétique". Une pensée qui traverse la petite cervelle de pas mal de gens; j'en suis convaincu.

D'autres infatués justifient comme ils peuvent : "mais, c'est de la provoc' tout ça, réglé comme du papier à musique, ouvre les quinquets". Le Ramadan commence; il est de coutume de ne pas manger, boire, fumer, s'embrasser en public. Les restaurateurs n'ouvrent que pour le "iftar", le repas du soir, où l'on se goinfre pour bien rappeler que la faim, visiblement, ne peut être que le lot du pauvre. Il est difficile de troubler cette osmose sociétale; une journaliste avait osé, un jour, critiquer l'appel à la prière qui retentit cinq fois par jour dans toutes les mosquées du Pays, parfois en harmonie parfois à la débandade, si bien que la symphonie se transforme en carrousel. "J'en ai marre, avait-elle rouspété, tous les matins, à 5h, on me dérange". Elle s'est vite calmée.

La chanteuse très très célèbre, Sezen Aksu, avait elle aussi critiqué un muezzin, "il détonne", "ah bon ?", "bah oui", "mais on s'en bat, il ne chante pas, il appelle", "oui mais il nous fait peur, enfin, si son boulot, c'est d'appeler, bah, c'est raté". Comme elle est connue, le Diyanet se rafistole un cornet acoustique, elle a de l'oreille, on veut son avis. Le fidèle doit sautiller de nuage en nuage pour venir à la mosquée; pas se réveiller comme le rescapé d'un bombardement.

Revenons aux classiques; en ce moment, une vidéo de Mustafa Kemal a été introduite dans le site de la Présidence de la République, celle où il s'adresse au peuple américain, avec ce joli langage qu'aujourd'hui, personne ne comprend (malheureusement). Il nous dit : "Türk milleti tab'en demokrattır". "Le peuple turc est, par sa nature même, démocrate". Un schème. Et c'est au nom de cela qu'il faut condamner ces agissements. Avec vigueur et franchise. "La civilisation est par nature une oeuvre lente". On a découvert la septième flèche du kémalisme. Libre d'en abuser...