dimanche 3 août 2008

Le stupre et la justice turque

Les Turcs sont très pudiques. Les histoires de sexe se taisent souvent. Ainsi, le père se sent toujours désarmé pour expliquer à son rejeton bouillant les rets de la vie sexuelle. On apprend "sur le tas". Les Européens sont bien plus "effrontés": la mère glisse elle-même les préservatifs dans la sacoche de son fils. C'est toujours elle qui "coache" sa fille. Le Pape s'époumone à rappeler à la palingénésie. En vain.
Les parents turcs ne sont bien évidemment pas complètement "morts" à ces choses-là : la "première nuit" fait toujours tressaillir : "et si ... ?". Une bonne mère doit avoir ce souci... En cas de "problème", elle lance la balle au mieux à un "hoca", sorte de charlatan ès appétit naturel et au pis au conseil de famille. Le monde de l'indicible et de l'horreur.
Officiellement, les homosexuels n'existent pas en Turquie ; Ahmadinejad le disait mieux, lui : "en Iran, nous n'avons aucun problème concernant les homosexuels; il n'y en a pas, elhamdulillah". Oui, oui.
Tout ce préambule pour relater une histoire pour le moins singulière dans ces contrées. La scène sans doute pas, on se débrouille comme on peut, mais les répercussions. L'histoire en est ainsi : un homme de 37 ans se présenta comme convenu chez son urologue, jeune et élancé nous dit-on. Le service de l'urologie n'a déjà pas bonne presse. Une sentine dans l'imaginaire. Et comment ! Le patient en perdait sa virginité anale. Le massage rectal lui parut louche quand les deux mains du toubib s'agrippèrent à ses épaules. Le "toucher" continuait cependant. La suite relève du syllogisme... "Ula ne oluyur ?"
Le tribunal correctionnel a disculpé le médecin. Fait rarissime dans ces contrées, le patient a fait appel en insistant : "pauvre bête, je vous le dis, il m'a sodomisé, c'est un pervers, pendez-le !". D'accord.
Fait encore plus "démontant", la Haute Robe a dû se "pencher" : les juges de Cassation ont annulé l'arrêt et demandé aux juges du fond de bien reconnaître la faute de l'Urologue en ces termes : " bon, alors, il s'avère que ce pauvre malade se plaint d'un truc immonde; oh, il doit avoir raison, personne n'oserait s'afficher victime d'un voyage en terre jaune chez nous, même les victimes sont fautives, c'est connu"... Ce n'est donc pas, à coup sûr, une calomnie. Une argumentation juridique, ça s'appelle.
Heureusement, les juges dissidents ont couché leur position d'une manière plus sensée : "arrête de divaguer, d'accord il était maladroit mais n'en fais pas une histoire; hein, allez, t'as mal compris, ça se fait comme ça ces trucs-là, lourdaud". Le clou : "si t'es pas capable de distinguer doigt et doigt, bah, coco..." (en turc pour les incrédules : "anüsüne erkek cinsel organının sokulması ve üzerine abanılıp ileri geri hareket yapılması durumunda bunun ne anlama geldiğini derhal fark etmesi gerektiği halde fark edemediğine ilişkin anlatımlarının şüphe ile karşılandı ve inandırıcı bulunmadı").
L'audace et l'effroi ont fait pondre une telle décision; la phraséologie sexuelle "extrême" commence à être employée. Lorsque Anwar Ibrahim, accusé par la justice indonésienne de pratiquer la sodomie, avait trouvé refuge dans l'ambassade turque, les médias ne savaient comment présenter les faits : "bah, tu sais toi, c'est quelle figure de style qu'on doit employer pour qualifier cet acte ?" "Euh... harcèlement sexuel, je crois". L'on a donc eu cette version. Seuls les bilingues ont pu suivre correctement l'affaire.
Cahin-caha. A l'heure où l' Eglise anglicane se déchire sur cette question, la société turque ne fait que commencer à se familiariser avec ce nouveau vocabulaire; mais de loin bien sûr. Ca reste toujours messéant. On ne badine pas avec l'honneur et la dignité.