mercredi 6 août 2008

Vérité indivise

Dur dur d'être diplomate ! L'entrée dans le métier, certes. Mais l'exécution de la tâche surtout. Etre polyglotte, bien élevé, abondant en citations, savoir parler, mentir sans rougir, agir avec délicatesse, etc. Toute une architecture. Et bien sûr, celer.
Voilà que les autorités rwandaises publient un rapport qui accable certaines personnalités françaises ; "les gens se vengent des services qu'on leur rend" disent les uns, "un homme, ce n'est rien après tout que de la pourriture en suspens" rétorquent les autres, citant le même auteur. Les Français ne sont pas des saints; notre patrie a seulement l'honneur de se voir qualifier "terre des droits de l'Homme". C'est d'jà ça. Les diplomates sont appelés à la rescousse : "allez, dites-leur de se calmer et Bruguière fera profil bas, la vérité n'a pas besoin d'être honorée dans ces circonstances". Vas-y, vas-y. Les Hollandais nous lancent des bourrades :"t'inquiètes, ça s'oubliera, fais-moi confiance, j'en connais le sentier...". Entre-temps : "et vous, les Turcs, amendez-vous, on n'a pas oublié, coquins, reconnaissez !".
Certains journalistes turcs se désolent : "j'en ai marre, Assad vient en Turquie passer ses vacances avec sa femme ; regarde comme elle est moderne ; la nôtre, voilée, ça me flanque des migraines". "Et voilà Ahmadinejad débarquer sans plier l'échine devant le mausolée d'Atatürk". Aux méninges diplomates ! C'est vrai qu' un homme qui ne partage aucunement les pensées ni le mode de vie de l'Eternel Chef ne pouvait, selon toute logique, se planter là, devant la dépouille, déposer une gerbe, se tenir debout une minute, une bulle au-dessus de la tête réfléchissant aux exploits du Défunt qu'il doit, logiquement, abhorrer. "Ca fait rien, agenouille-toi, misérable !". Les diplomates ont réfléchi bien sûr : il a été décidé de débaptiser le nom officiel de la visite : on passe d'une visite d'Etat à une visite de travail. Donc pas de pompe, pas d'Atatürk. On ne le dévoile que pour les grands moments.
C'était le même souci avec Talabani, l'ancien "coupeur de routes" devenu Président, Son Excellence d'Iraq. Personne ne voulait vraiment lui serrer la main. C'est passé.
Et toujours, Bartholomée avec sa belle barbe étalée : "on te dit que tu n'es que l'archevêque des stambouliotes orthodoxes, point. Ne comprends-tu pas ? Qu'est-ce que tu es allé manigancer en Ukraine ? Allez dis-le !". Alexis II s'empresse d'acquiescer : "ils ont raison, arrête de broncher, arrête de rappeler que t'es le primus, à la fin !". Le terme "oecuménique" fait grincer les dents en Turquie; je n'ai jamais compris : ce devrait être une fierté pour le Pays. On rétablit le Califat et voilà, la Turquie devient une terra sacra : deux Saintetés. Les autorités ne recherchent pas la gloriole : "oulala, non, non, nous, nous sommes un Etat laïc, démocratique, social, etc., on ne peut pas abriter une Sainteté, c'est comme ça". Le pauvre Bartholomée, ereinté, rappelle : "est-ce que je t'en pose des questions sur ta laïcité handicapée, moi ? Laisse-moi, je suis Oecuménique, dégage de mon champ, flûte !". Histoire de ne pas passer pour bête, c'est l'ambassadeur de Turquie en Ukraine qui l'a hébérgé. C'est un Turc, voyons.
Il est légitime, parfois requis, de hausser le ton; mais dans la cohérence. Les causes ne se choisissent pas, elles se défendent toutes. Pas pour la fanfaronnade mais pour la vérité. Les éclipses dans ce domaine sont toujours éclatantes : passer sous silence ses égarements et faire la chantepleure pour ceux des autres, c'est, en somme, distribuer les verges pour se faire fouetter. Et cela, que je sache, n'est pas un mérite. Balayer devant sa porte en est assurément un. A vouloir mettre son pied dans tous les souliers, on plaide comme une savate...