mardi 15 avril 2008

Baiser de Judas

Je ne fais pas trop cas des propos populistes qui, certes caressent notre prédisposition à l'indignation, mais restent toujours suspicieux. Parfois, je cède. Lors d'une cérémonie célébrant la libération de la ville de Sanliurfa (au sud-est de la Turquie) des forces françaises en 1920, le gouverneur militaire de la zone, un général, s'est senti mal à l'aise, entouré de quelques femmes voilées dans la "tribune" réservée au protocole. L'ordre a donc été donné de les refouler à l'arrière ou de les inciter à ôter leur voile. Il s'agit du voile de Sanliurfa et non du "turban" stambouliote; précision importante car l'un représenterait la femme anatolienne pieuse et donc respectable et l'autre la lutte idéologique contre le régime kémaliste et donc insupportable.
Ce genre de "bizarrerie" ne choque plus trop en Turquie; lorsque les militaires parlent, on courbe le corps. Presque insignifiant. Ils ont réussi à rendre anodine la violation continue d'une liberté individuelle. On avait eu droit à des scènes de théâtre lorsque le Président Gül avait pris ses fonctions; son aide de camp, bon militaire, se félicitait d'avoir réussi à ne pas être filmé une seule fois avec la femme du Président, voilée. Une gloriole qui mérite sans doute une promotion dans leur système d'avancement où il n'est pas nécessaire de casser trois pattes à un canard pour prendre du galon (on en est toujours au système de fiche à la Combes). Si l'obligation protocolaire exigeait un rapprochement entre lui et la "First Lady", la solution coulait de source: se présenter en civil; l'alliance de l'uniforme et du voile, jamais ! On avait aperçu aussi le gouverneur militaire d'Ankara bouder la suite protocolaire qui se met toujours en place lorsque le Président de la République va à l'étranger. Cérémonie pompeuse mais c'est comme ça. Notre gouverneur faisait tout pour ne pas serrer la main de Mme Gül. Il en était fier.
Chez nous, on appelle ça: une pathologie. Voire une connerie. J'en viens au populisme: un journaliste classé à l'extrême-droite religieuse (il écrit dans Vakit, un journal "chariatiste") dit vrai lorsqu'il relève cette absurdité implacable: on le sait, chez les Turcs, les soldats morts pour la Patrie sont des "martyrs" (terme éminemment religieux), même dans le jargon officiel (vive la laïcité !). Les sociologues et historiens ont relevé que les "martyrs" étaient tous d'extraction modeste (aucun fils de diplomate, politique, militaire, entrepreneur, etc.) et donc de familles où les "voilées" sont majoritaires. Or, lors des funérailles, les militaires sont les premiers à se jeter dans les bras des mères, soeurs, épouses (donc toutes voilées) pour les consoler, jurer vengeance, promettre la punition. Et le lendemain, les mêmes demandent à ces futures mères de martyrs de disparaître du décor.
Prendre les femmes du bon Dieu et du bon peuple pour des canards sauvages... Il est grand temps de "déposer du sublime" dans le futur.