La Turquie vient de terminer une guerre-éclair dans le Nord de l'Iraq; cette zone qu'il est officiellement interdit d'appeler le "Kurdistan irakien". Les morts, le sang, les pleurs, les "martyrs", tout ce que l'on connaît depuis quelques lustres.
La guerre neutralise tout en Turquie: la pensée, la joie, l'opposition, etc. On doit changer d'état; pleurer, ne pas remettre en cause, se taire, dire "Vatan sagolsun" lorsqu'il y a des pertes humaines (du genre "Vive la patrie", refrain sacrificiel entonné inconsciemment) et surtout écraser les voix discordantes. Dernièrement, Bülent Ersoy, une des grandes chanteuses du pays (transsexuelle respectée, ce qui relève de l'exploit dans une société où ce "genre de chose" ne déclenche pas un respect naturel) a osé s'interroger sur la pertinence d'un combat mené depuis plusieurs années et qui s'avère, à son humble analyse, pas trop reluisant. Mon Dieu, quelle allure ! Quelle impertinence ! Quelle traîtrise ! Quelle bouche ! Quelle baverie ! On excelle dans la dénonciation, le CSA turc se réunit d'urgence pour envisager son excommunication audiovisuelle, les journalistes pleurent à l'idée de disserter sur cette abominable phrase, le pacte tacite qui interdisait ne serait-ce qu'une miette de critique ou une simple interrogation vole en éclats. Catastrophe: les Kurdes donnent libre cours à leurs revendications politiques: le DTP, parti kurde, "présidé" par Ahmet Türk (un Kurde malgré ce joli nom, bel exemple d'assimilation) propose d'édifier un système fédéral où Turcs et Kurdes vivraient le bonheur absolu, sans heurts, sans guerres, sans larmes. La presse lance: Ahmet Türk propose la "sécession" (le mot "bölünme" signifie division, partage mais surtout, dans la phraséologie officielle de lutte contre le terrorisme, sécession); un jeu de mots: il propose un système fédéral, on comprend sécession. On va voir quel procureur va se dépêcher de lancer des poursuites judiciaires. Ouf, il est député donc intouchable. Mince, son parti est en instance de dissolution devant la Cour constitutionnelle, ça fait un chapitre de plus dans le réquisitoire.
Si on pouvait jeter par-dessus bord tous ces dérangeurs, ça serait drôlement bien...un rêve qui pousse les défenseurs des droits de l'Homme à ne dormir que d'un oeil.