mercredi 1 juillet 2009

Changer de saison

L'on savait bien qu'il nous "baratinait"; Deniz Baykal, voyons, le chef du parti kémaliste. Un social-démocrate; depuis plus de 40 ans. Lui, c'est un homme politique ! Depuis 40 ans, il essaie d'arriver au pouvoir. Et à chaque élection, il s'enfonce. Mais il ne rougit jamais, il est "cool", au contraire; après chaque élection, il reste quelques jours cloîtré chez lui avant de faire une "déclaration". Toujours la même, cela dit : "notre parti entame une nouvelle phase d'affermissement". Un parti qui date des années 20. Il monte la pente depuis 80 ans. Et quand je dis que même galéjer doit avoir un code; une allure.


Monsieur Baykal avait déclaré, il y a quelques jours, qu'il était prêt à soutenir un projet de loi qui annulerait l'article 15 de la Constitution qui accorde une amnistie aux putschistes de 1980. Le Premier ministre, toujours aussi suspect, avait lâché : "nous n'avons pas la tête à la rigolade". Et l'ancien président de la Cour de cassation, le célébrissime et très écouté Sami Selçuk, avait, de son côté, fait part de son exaspération : "c'est une amnistie, comment un Etat peut-il revenir sur une amnistie sans perdre sa crédibilité !" Et le principal intéressé, le putschiste Kenan Evren, un nonagénaire, avait été on ne peut plus clair : "si le peuple se prononce par référendum sur cette annulation, je ne laisserais jamais les tribunaux s'emparer de mon cas; je me suiciderais !" A faire pleurer la ménagère. Un député, visiblement très remonté (mais quand ne l'est-il pas le Sieur Kamer Genç), lui avait lancé : "personne ne te tient"...


Et voilà que le Parlement a voté, à la sauvette, une loi permettant de faire comparaître les militaires devant les tribunaux civils (en Turquie, les militaires ayant leur propre juridiction, Cour de cassation et Conseil d'Etat compris); ce même Baykal s'est immédiatement révolté : "Jamais, vous entendez, nous allons saisir la Cour constitutionnelle, vous n'aurez jamais les militaires ! Laissez-les tranquilles !" Ecarlate ? Non. Toujours pas. Sa peau n'arrive pas à s'empourprer. C'est avantageux, cela dit.


Cette loi était à l'origine une proposition et non un projet; donc issue d'une initiative parlementaire. Et le clou, c'est que même les députés du CHP ont voté pour. Il faut dire que la séance s'est tenue à deux heures du matin. D'ailleurs, à un journaliste qui lui demandait si l'attitude de son parti n'était pas bizarre, un responsable du CHP répondit : "tu sais, la nuit, on est fatigué, la vigilance intellectuelle s'atténue, hein. Donc on a voté par mégarde". Voter par inadvertance. Un nouveau passe-temps... Heureusement que l'on est assuré que la Cour constitutionnelle censurera. Ouf.


Les militaires, de leur côté, sont mécontents; ils en ont assez d'être critiqués parce-qu'ils font leur boulot : des préparations de coups d'Etat. "Eh ben quoi alors ! On a le droit, nan ! Et la République laïque ! Atatürk nous l'a confiée, alors oust !" C'est vrai qu'une loi permet à l'armée d'intervenir pour sauvegarder les principes constitutionnels de la République. C'est comme ça. Et alors, on retombe dans les discussions interminables sur la place de l'armée dans une démocratie normalement constituée; et le gouvernement en a assez, il veut se focaliser sur l'économie mais les journalistes et le CHP ont peur de s'ennuyer, ce faisant. Alors, on a droit au choral périodique sur le rognage de la République. Tiens, en France, on vient d'apprendre qu'un officier de la gendarmerie qui a critiqué le projet de rappochement police-gendarmerie avait été convoqué au conseil de discipline pour avoir manifesté "une désapprobation claire vis-à-vis de la politique conduite par le gouvernement ". Comment de ne pas être jaloux !


A l'heure où Matthew Bryza reconnaît que la Turquie est une puissance régionale et qu'il n'est plus possible pour les Etats-Unis de faire pression sur elle, à l'heure où le ministre de la culture Ertugrul Günay en arrive à discuter indirectement de l'homosexualité avec Frédéric Mitterrand, à l'heure où l'on apprend que les hommes turcs les plus "sexy" se trouvent à Izmir et les plus frustrés au fin fond de l'anatolie, à Konya et à l'heure où la pimbêche nationale Hande Ataizi, déclare vouloir un homme comme Sarkozy, l'excès de "gravité inutile" est vraiment frustrant. L'on devient une société de plus en plus libre, on entend des paroles de plus en plus grivoises, on devient un modèle de société pour les nations arabes mais l'on n'arrive toujours pas à s'apaiser sur le plan politique et idéologique.


Il faut savoir passer à autre chose, vraiment. Il faut que certains hommes politiques soient politiquement liquidés. Qu'ils disparaissent du décor. On en a marre de vivre avec leur cauchemar. Vraiment. Et de dénoncer à chaque fois les mêmes choses. "Elle est folle Hande, Sarkozy, il est contre la Turquie ! Allez, on va la caillasser !"...