La conscience est un véritable fouet, en réalité. Elle stimule le don Quichotte qui est en nous; le côté sain et sincère qui anime chaque être humain. L'on essaie toujours de cacher les choses dérangeantes dans un coin de notre cerveau et on reprend avec encore plus d'énergie, le murmure de notre petite musique défraîchie; alors que l'on est au courant de notre propre bassesse. On se dédouble. L'un reste humain, l'autre "malin". Et la conscience nous ramène à notre quintessence; doit nous ramener, en tout cas. Il suffit de se taire une minute et d'ajuster son "fléau" interne. La justice est passée par là. Il ne reste plus qu' à déduire.
Depuis une semaine, l'actualité turque se résume à l'arrestation de plusieurs personnalités dans le cadre de l'affaire Ergenekon. Le même scénario : arrestations, protestations de l'opposition, neutralité suspecte du gouvernement. La crème se retrouve ainsi en prison; cette fois-ci, ce sont les universitaires que l'on a embarqués. Des présidents d'universités qui, il faut le reconnaître, se manifestaient plus pour des giries contre le Gouvernement que des recherches ou des inventions éminentes. Contre le Gouvernement mais pas n'importe comment : en invitant, sans la moindre honte du monde, les militaires à hausser le ton. Des universitaires; des savants qui guident des esprits en formation... L'on apprend même que les médecins de l'Université de Başkent à la tête duquel se trouve le Professeur Haberal, chirurgien reconnu mis en examen, avaient voulu flanquer en l'air le Premier ministre Bülent Ecevit en lui prescrivant une incapacité de travail. Ce dernier avait dû quitter l'hôpital à la sauvette sur les conseils de sa fidèle épouse, au courant du "complot"...
Mais, un "faux pas" a "enfin" été commis; les incrédules et sceptiques n'attendaient que cette bévue pour discréditer toute l'enquête : Türkan Saylan, la "mère" des étudiants pauvres a également été mise en cause. La police a fouillé sa maison. Un vent d'indignation s'est levé; une universitaire qui a passé sa vie à lutter contre le "fanatisme religieux" en distribuant des bourses aux étudiants les plus nécessiteux afin de les arracher aux tentacules des confréries religieuses, nécessairement obscurantistes. Celle qui est également connue pour sa position du "ni ni" : ni putsch providentiel ni charia enténébrée.
Et surtout celle qui est considérablement diminuée du fait de son cancer. Voilà la corde sensible. L'image de cette femme souffreteuse en train de fustiger, du haut de son balcon, la procédure inique qui l'a atteinte est assurément insupportable. Les juristes le jurent, la procédure est désormais compromise : "nan nan je m'en fous, dorénavant toute la procédure est faisandée, fallait pas toucher à cette grande âme, allez, sortez les autres des cachots !".
Double aspect : l'humain et le juridique. Les critiques sont fondées à en croire les spécialistes : les investigations se font sans savoir ce que l'on recherche; un peu sur le tas. Si l'on trouve quelque chose à se mettre sous la dent, c'est formidable, sinon, on aurait au moins tenté. Scandale, évidemment. L'on y souscrit à deux mains. Le sac sur le dos, les policiers prennent tout ce qui peut éventuellement servir. Ca s'appelle une perquisition. Un Etat de droit. Mais comme l'enjeu est critique, personne n'ose remettre en cause ce procédé; or, la procédure est le "canevas" du fond.
En réalité, le problème vient de ce que deux clans se sont emparés du procès et refusent de reconnaître les dérapages afin d'éviter de fournir à l'autre une occasion d'avoir raison. Les phrases toutes faites agaçent, aussi : "si la justice turque soupçonne Türkan Saylan, c'est que la justice s'est compromise !" ou "c'est le camp laïque que le gouvernement veut décimer !" Alors que l'on a plus besoin de bride que d'éperon dans un tel contexte. Au nom de quoi doit-on la considérer intouchable ou insoupçonnable ? Se documenter sur l'opération Gladio en Italie aurait aisément permis de comprendre que les personnalités les plus respectables peuvent frayer avec l'engeance des mafiosi. S'émouvoir est humain mais "profiter" du pataquès pour détourner l'attention, c'est une perfidie.
Une femme qui se débat contre un cancer. C'est triste de la voir bousculée mentalement. Une maladie qui demande attention, repos et tranquilité. Le journal ultra-conservateur, Vakit, en a profité pour lancer : "celle qui luttait contre le foulard est contraint d'en porter un pour cacher sa tête pelée". Vulgaire. Et ceux qui s'émeuvent du traitement catapultueux auquel elle a eu droit étaient les premiers à critiquer la décision du Président de la République de gracier l'ancien Premier ministre "islamiste" Erbakan pour longue maladie. "Eh ben, on avait bien raison, regarde il remarche ! Allez, foutons-le en tôle !"...
Ca tourne à l'amour-propre et à la revanche. L'esprit de chapelle. L'on ne biaise pas avec sa conscience, tôt ou tard, on s'en rend compte. Mais la crânerie est ainsi faite : elle est melliflue; elle freine la recherche de la sincérité. Et tout le monde croit avoir raison; or, l'autre partie de la cervelle lui dit qu'il a tort. En vain. Vérité, pourquoi es-tu si répugnante ?