Ca discutaille partout; certains lancent des formules: "l'Etat contre le gouvernement", "interdire le peuple", "suspendre la démocratie", "importer un nouveau peuple", etc. ; à qui mieux mieux.
Quel peut être le sens de vouloir interdire un parti qui a obtenu, il y a tout juste sept mois, 47 % des voix ? Une résistance au souverain ? Un défi ? Un affront ? Une obligation ? Tout le monde réfléchit; certains se frottent les mains, d'autres les yeux, d'autres le menton.
Si le réquisitoire du "proc" suscite une indignation politique, une incompréhension sociétale et un respect naturel qui sied à toute action qui vient tout droit d'un organe juridictionnel dans un Etat de droit, sa lecture fait rire tout le monde; certains en pleurent: ne pouvait-il pas ficeler un "truc" plus juridique tant qu'à faire ? Lisons: constituent une menace pour la laïcité, les positions suivantes:
- défendre la levée de l'interdiction du foulard dans les universités et dans les administrations publiques (ce dernier élément enrage les laïcistes),
- défendre la levée du critère de l'âge nécessaire pour étudier le Coran (eh oui, en Turquie, les parents peuvent inscrire leurs enfants dans tous les clubs de toutes sortes dès l'enfance mais il faut attendre l'âge de 12 ans pour l'envoyer dans les écoles coraniques !)
- distribuer des Corans dans les rues,
- citer le Coran dans des discours publics,
- critiquer la décision de la Cour européenne des droits de l'homme confirmant l'interdiction du port du foulard dans les universités turques (vivent les profs de droit, ils passent leur vie à faire ça !)
- croire en Dieu (le Premier ministre déclara un jour: "Pourquoi tant de séparations ? Nous sommes tous des créatures de Dieu"),etc.
Le "proc" ajoute: tout ce que je dis là n'a rien de répréhensible dans notre code pénal mais on s'en fout. Il faut interdire. Nul besoin d'avoir fauté (pénalement) car risque de fauter. Et basta.
Et les preuves lui demande la Cour constitutionnelle ? Le "proc" lui envoie une brouette de journaux: tiens lis-les ! La plupart des articles (c'est-à-dire, ce que l'on appelle, en droit, des "preuves") datent d' il y a cinq voire dix ans; autrement dit, le peuple, en s'exprimant en faveur du gouvernement à hauteur de 47 % en juillet 2007, a confirmé cette voie anti-laïque; là est le problème le plus grave: on avait cru que les électeurs avaient absous ces "islamistes" (histoire de la légitimité fraîche) mais, non, on se rend compte que les 16 millions sont appelés à la barre. Reproche: avoir mal voté.
Dernière note: dans un sondage réalisé auprès des juges turcs, plus de 60 % ont répondu à une question qui leur était posée de cette manière: lorsqu'il s'agit de défendre les droits de l'Etat, le juge peut se passer de la justice; autrement dit, défendre les intérêts de l'Etat prévaut sur le fait de rendre la justice. C'est dans ce contexte que s'ouvre le procès...