On vient d'apprendre que le Procureur général près la Cour de cassation turque a lancé une procédure d'interdiction de l'AKP, parti gouvernemental depuis 2002. Hayirli olsun.
Les griefs sont, bien évidemment, graves: le parti serait devenu "le centre d'activités contraires au principe de laïcité". En réalité, rien, dans une démocratie, n'interdit d'interdire; la démocratie doit se défendre. Mais encore faut-il qu'il y ait démocratie au sens plein du terme. Le tort majeur qui figure à la tête du réquisitoire, c'est peut-être même son titre: la liberté pour le foulard.
Les opposants sont heureux, les juristes respirent, les recteurs gambadent, le CHP fait semblant de s'inquiéter pour la démocratie, le MHP s'en remet à la sagesse de la justice, etc. Le Président de la République, dont le nom figure également dans la liste de ceux pour lesquels le procureur a demandé une interdiction de briguer des mandats pendant cinq ans, tient des propos lénifiants depuis Dakar, le Premier ministre, toujours hors de lui dans ces moments là, demande à la justice de ne pas être trop partiale pendant le déroulement du "procès". Une vraie mascarade.
Seuls les Kurdes se sont dressés énergiquement contre cette procédure; il faut dire que leur parti DTP est également en instance de dissolution devant la Cour constitutionnelle. C'est une simple cohérence, mêlée à leur conception sincère de la démocratie !
Point important: le procureur a fait cette sortie dans la dentelle. Soucieux du bien-être économique de son pays, il a attendu la fermeture de la séance de la bourse d'Istanbul pour ébruiter l'information. D'ailleurs, c'est devenu une coutume: les déclarations gênantes tombent désormais dans la soirée ou en fin de semaine. L'Armée publie la nuit, certains officiels préfèrent l'après-midi après le "mesai" (heures de bureaux des administrations publiques). Rire ou pleurer !
La balle est désormais dans le camp de la Cour constitutionnelle, bourreau particulièrement enthousiaste en la matière; plus de trente partis ont été dissous depuis la République (c'est-à-dire 85 ans) dont quatre de la mouvance conservatrice musulmane: l ' AKP, nous le savons, est un parti de dissidence, une branche du tronc islamiste; ce qui me paraît incompréhensible, c'est que ces juristes de haut rang aiment élaguer de temps en temps; mais ils restent trop "juristes": on interdit le parti et après on avisera. Le hic, c'est que ce "après" est toujours le même: encore plus de voix pour les persécutés. Comme le disait Mitterrand, les juristes ne comprennent jamais rien à la politique; c'est vrai qu'on leur apprend que dissolution équivaut à disparition; or, la politique nous enseigne que dissolution signifie toujours victoire...une victoire sur un plat d'or car le peuple repasse toujours les plats aux victimes.