dimanche 23 mars 2008

L'impartialité et l'indépendance de la justice

J'avoue qu'une justice qui n'est pas organiquement indépendante ne me gêne pas; pour la bonne raison que l'on ne connaît pas un système contraire dans un seul pays au monde. Le pouvoir politique aime nommer les juges. De la démocratie dans la justice disent certains; je n'arrive toujours pas à comprendre ce que vient faire la démocratie dans le droit (comme je n'arrive pas à comprendre ce que vient faire un jury dans un procès pénal). Mais passons, ce n'est pas si grave puisque tout le monde s'en gausse.
Ce qui m'importe surtout, c'est l'impartialité de la justice. On peut penser que l'un ne va pas sans l'autre; dans ce cas là, il faudrait convenir qu'aucune justice au monde n'est impartiale, ce qui est fort gênant et sans doute faux. En Turquie, on n'arrive toujours pas à comprendre ce que peut bien être une justice impartiale ("tarafsiz yargi"). C'est presque une insulte; une justice qui ne serait pas porteuse de l'idéal kémaliste, lèse-laïcité ! Lorsque le "proc" Yalçinkaya, celui qui a offert sa collection d'articles de presse à la Cour constitutionnelle afin qu'elle délibère sur une bonne base, s'en est pris à l'AKP (parti au pouvoir, voyons !), l'opposition laïcarde n'a ni dénoncé ni applaudi; on entendait la phrase du Professeur Baykal clinquer : "Il nous incombe de nous taire, l'affaire est désormais dans les mains de la justice turque impartiale". Un "coeur qui bat dans la bouche" aurait dit Henri Troyat.
Lorsque, quelques heures plus tard, un autre juge, le Juge d'instruction Öz, a décidé de placer en garde à vue le soi-disant très respecté journaliste Ilhan Selçuk du chef d'accusation d'avoir frayé avec une engeance putschiste, les mêmes s'en sont pris à "l'Etat profond" censé avoir investi les postes importants de la justice. Encore une fois, rire ou pleurer ?
Il ya quelques mois de cela, un juge d'instruction (Ferhat Sarikaya, un vrai martyr de l'Etat profond) avait été chassé de son métier pour avoir cité, dans une ordonnance de renvoi, le nom du Chef d'Etat-major de l'armée de terre (aujourd'hui chef des armées, belle promotion) susceptible de pouvoir éclairer la justice dans une affaire d'explosion d'une bombe dans une librairie; bombe posée par... les forces de sécurité turques. Pas très grave, on sacrifie un juge. Lorsque le juge Chaudhry avait été évincé au Pakistan de son prestigieux fauteuil, les avocats, les intellectuels et la communauté internationale s'en étaient émus et avaient énergiquement protesté. Rien de tel dans le cas Sarikaya.
Aujourd'hui, les laïcistes qui n'arrivent pas à comprendre ce que l'on pourrait reprocher au saint Ilhan Selçuk (pour lequel je n'ai, personnellement, aucune estime) ont donc le réflexe de demander une enquête sur l'enquêteur Öz; il a dû fauter puisque Selçuk est vieux donc innocent (ceux qui le défendent mettent plus en avant son âge, 83 ans, que les griefs qui lui sont repochés, ce n'est pas à cet âge qu'il va entamer une carrière de fasciste n'est-ce pas ?).
Il va falloir jongler dans les raisonnements; si Selçuk est lavé de tout soupçon, la justice aurait prouvé qu'elle résiste aux pressions gouvernemtales, si la Cour constitutionnelle lave de tout soupçon l'AKP, elle aurait prouvé qu'elle n'arrive pas à être impartiale, si les deux affaires se terminent mal, on ne saurait plus qui doit penser quoi, etc. Un dédale. Alors que tout est si simple: la justice turque est partiale (les juges le disent eux-mêmes), gerisi teferruat...