vendredi 5 juin 2009

Jacobinerie

La saison des injures s'est ouverte avec la campagne électorale. Au niveau de l'Europe. Et les politiques comblent leur vide programmatique par le seul argument qui fait toujours mouche, non à la Turquie et plus globalement non à l'islam rampant dans nos jolies contrées. Et les électeurs aiment entendre cette rhétorique, il faut dire que personne n'a toujours pas compris ce que fait le Parlement européen, ce qu'est le Conseil européen à ne pas confondre avec le Conseil de l'Europe tout en le distinguant du Conseil des ministres de l'Union européenne. Bref, le dada : "je te promets une Europe sans Turquie, vote pour moi !".


L'islamophobe en chef, le néerlandais Wilders va plus loin dans ses envolées : "assez d'islam en Europe, assez d'islam aux Pays-Bas !" a-t-il pu dire dans un "meeting". Un cheval de bât. Et les musulmans écoutent sans broncher, c'est connu, un musulman est une bonne tête à claques. Il a peur de déranger en protestant; imaginons un instant une autre formulation : "Trop de Juifs en Europe !". Evidemment, levée de boucliers, poursuites judiciaires, protestations, etc. Mais une indignation même atone est rarement à l'ordre du jour lorsqu'il s'agit de frapper sur du musulman...


J'ignore ce qui peut bien pousser des hommes doués de raison à fustiger l'islam sans répit et à vouloir éradiquer sa présence en Europe. L'on s'interroge comme un gamin poussé par ses copains de quartier : pourquoi ils ne m'aiment pas ? Villiers et Le Pen, eux aussi, déclarent à chaque fois qu'on leur donne la parole qu'il y a trop de mosquées en France; tous ceux qui s'investissent dans des associations cultuelles savent que le projet de construire une mosquée est une véritable gageure, un parcours du combattant; on en arrive à négocier la forme, la hauteur, la nécessité d'un minaret. Pour apaiser. Pour éviter de faire peur. Pour donner des gages de bonne volonté. Sur ces questions, j'ai toujours été un dur. Pas de concessions, le délire de l'intolérant n'a pas à dicter mon attitude. "Ouais mais il faut éviter la confrontation, sinon pas de mosquée, haha !" Qu'est-ce qui trotte dans la tête des gens ? Sommes-nous des terroristes en herbe ? des malappris ? d'éternels étrangers ? des trublions ? des félons ? d'incurables phallocrates ?


Il y a quelques semaines, un sondage nous enseignait que 80 % des musulmans vivant en France se considéraient comme loyaux. Et tout le monde était content, évidemment : "t'as vu mes musulmans, ils ont juré fidélité, pas de bombes ni de grandes revendications communautaires, comment ils disent déjà ? Elhamdulillah, je crois...". L'on a compris, l'oumma fait peur. Comme si le musulman du Pakistan empêtré dans une lutte fratricide avec ses Talibans, celui d'Arabie Saoudite qui meurt d'envie de voir une femme de temps en temps pour se rincer l'oeil, celui des Etats-Unis qui commence à prier le Vendredi derrière des "imamesses", celui de la Turquie qui ne demande rien d'autre que de porter son voile sans encombre ou même celui de la France qui vote toujours au CFCM selon son appartenance ethnique partageaient beaucoup de choses en commun. Tous ces types seraient donc prêts à se coaliser contre l'on ne sait trop qui. Nous avons une chose en commun, en vérité : la vexation verbale. L'on se sent obligé d'affirmer platement notre foi ou de rajouter immédiatement des qualificatifs : modéré, non pratiquant, libéral, etc. Quand il accueillera ses fidèles dans l'autre monde, on le dira au Prophète : on avait honte de toi et de tes principes...


Jadis, mon professeur de turc nous apprenait à réciter une formule : "allez répéter, bande de cruches, nous sommes avant tout Turcs et ensuite musulmans ! Allez, j'te dis"; et moi de me dresser contre cette affirmation. Pourquoi l'on me pousse à affirmer une identité ? La question ne s'est jamais posée, pour ma part : l'une renvoie à l'affiliation religieuse et l'autre à l'appartenance citoyenne. Je suis osséto-turco-français musulman. L'islam a opéré une révolution sur ce terrain; le Prophète avait lui-même déclaré que la religion qu'il avait pour mission de prêcher abolissait toute distinction ethnique, égalité des hommes oblige. Seule la piété devait être une référence.


Il ne vient jamais à l'idée de quiconque de s'interroger sur la psychologie des Juifs. Ceux-là même qui s'enorgueillissent d'être fidèles aussi bien à la France qu'à Israël. "Oui mais eux, ils ont été persécutés, c'est normal, ils ont droit d'être communautaristes". D'accord. Il faut donc que l'on attende une persécution pour avoir les mêmes droits...


C'est vrai que le droit musulman n'apaise pas; le fameux concept de "daru-l harb", la terre des infidèles où certaines obligations islamiques s'adoucissent du fait de "l'état de nécessité" (par exemple, l'interdiction des intérêts saute pour les crédits immobiliers car l'accession à la propriété conduit à une islamisation) est toujours utilisé par certains. Et Tariq Ramadan n'aide pas avec ses appels aux musulmans européens à imposer leur éthique dans les pays où ils vivent : dignité, justice, pluralisme, défense des faibles. C'est avec cela que l'on menace l'ordre public national...


Et il ne faut pas comprendre le fait de vivre en musulman, de vivre avec des musulmans, de se marier avec un musulman, de reposer dans un carré musulman comme des pieds de nez à la République. Ce sont de simples déclinaisons de la liberté individuelle, chacun fait ce qu'il veut à partir du moment où il ne menace pas l'ordre public. Seuls ceux qui ont accompli leur "rénovation d'entendement" peuvent comprendre ceux qui ont modelé leur vie en fonction de leurs croyances religieuses. L'ancien grand rabbin Sitruk pouvait ainsi déclarer logiquement que "pour moi, dans la conception de ma foi, ce serait un échec si l'un de mes neufs enfants épousait un (ou une) non-Juif, car le mariage mixte atteste d'une volonté, finalement, même si elle est inconsciente, de quitter cette religion" (Les ambassadeurs de Dieu, C. Pigozzi, p. 97).


Il faut plus que de la tolérance, terme que je récuse. Il faut de la simple logique. Eviter de penser que celui qui vit comme il le veut est une cervelle à sauver au nom de ses propres principes... L'empereur de l'Occident vient de le dire dans son adresse au monde musulman : "it is important for Western countries to avoid impeding Muslim citizens from practicing religion as they see fit – for instance, by dictating what clothes a Muslim woman should wear", "I reject the view of some in the West that a woman who chooses to cover her hair is somehow less equal", "I do not believe that women must make the same choices as men in order to be equal, and I respect those women who choose to live their lives in traditional roles. But it should be their choice." Il a tout compris...