vendredi 18 avril 2008

Définition juridique de la douleur dans le cadre d'une peine de mort

In abstacto, je suis contre la peine de mort; mais j'essaie de comprendre l'émotion de ceux qui ont souffert du fait d'un crime puni de la peine capitale. Rien ne m'autorise à critiquer leur désir de vengeance extrême. Le désir de proportionnalité est bien connu en matière de vengeance; lorsque l'on tue, la famille du défunt réclame la mort, lorsque l'on viole un enfant, tout le monde réclame la mise à mort. L'atrocité, lorsqu'elle est ressentie comme telle par la quasi-majorité, stimule l'inconscience et dans le monde de l'inconscience, par définition, les verrous sautent. Il faut vraiment vouloir pour que la raison revienne et prenne le dessus. Et ne pas le vouloir n'est pas humainement incompréhensible.
La mort, en soi, n'est pas un châtiment cruel; on ne souffrerait pas puisque l'on ne la subirait pas. Ce que disait jadis Epicure. C'est la position de la Cour suprême des Etats-Unis. La Constitution américaine prohibe les châtiments cruels (8è amendement: "Excessive bail shall not be required, nor excessive fines imposed, nor cruel and inusual punishments inflicted"). Il a donc fallu "négocier" sur les modalités d'exécution; après les électrocutions, pendaisons, pelotons d'exécution voire les "chambres à gaz", on avait trouvé une nouvelle méthode: l'injection létale. On comprend qu'elle nécessite trois phases: l'endormissement, la paralysie et l'arrêt cardiaque. Ni vu ni ressenti; on meurt inconscient.
Bien évidemment, les Etats-Uniens aimant chicaner, on s'est retrouvé devant les "Sages" pour règler le problème. L'injection est-elle un châtiment cruel ? A priori non puisque la Faucheuse ne s'empare, en somme, que d'un épi bringuebalant. Mais on s'est rendu compte que cette méthode avait des travers: on peut passer, par erreur technique, directement à la deuxième phase; résultat: le condamné souffre atrocement. La Mort droit dans les yeux. Les droits-de-l'hommistes s'en désolent car il s'agit bien d'un homme dont on parle. Du coup, on réfléchit. Les "9" se sont donc longuement interrogé et ont pondu un raisonnement implacable: certes la douleur provoquée est un châtiment cruel mais le risque de douleur n'est pas contraire à la Constitution. Autrement dit, tant que l'intention n'est pas de provoquer une douleur, l'injection n'est pas un châtiment cruel; le risque de provoquer une douleur, par exemple par accident ou "comme conséquence inévitable du processus menant à la mort" (je n'ai pas vraiment saisi le sens du mot "processus") n'est pas juridiquement digne d'être retenu. Une petite dose de gêne n'est rien pour le grand voyage.
Lorsque l'on chicane, là-haut on pinaille. Mais c'est le droit. Espérons que John Paul Stevens aura encore quelques années à passer là-bas pour convaincre enfin ses collègues que la peine de mort est anachronique et anticonstitutionnelle.